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qu’on nous offre, car l’Angleterre a soin de se réserver, pour le temps de guerre ou de tension (combien vague est ce mot !) tous les pouvoirs qu’il lui plairait d’exiger de nous pour sa défense sur notre sol. D’ailleurs il manquera toujours à l’Irlande ce qui fait la vraie garantie et la sécurité de l’Australie ou du Canada vis à vis de l’Angleterre, c’est l’éloignement, la distance, et c’est l’immensité de ces territoires d’outre-mer qui les met hors d’atteinte des griffes du lion britannique. Pourquoi, au reste, prêterions-nous serment à un roi dont nous ne nous reconnaissons pas les sujets ? L’autorité émane du peuple, et non d’un souverain étranger. Or notre gouvernement national va devenir le gouvernement de Sa Majesté, l’armée irlandaise, l’armée du Roi. Le jour où George V voudrait ouvrir en personne un Parlement irlandais à Dublin, vous verriez le drapeau noir à toutes les fenêtres. Votre traité n’est qu’une capitulation, comme l’Irlande n’en a pas vu depuis Henri II. L’acte d’Union de 1800 lui-même nous avait été imposé par le dol et la force. Et c’est à notre génération que serait réservée l’humiliation de voter elle-même sa déchéance en signant un document « ignoble » ! Pour Dieu, ne rivons pas nous-mêmes nos chaînes, ne ruinons pas les fondations morales sur lesquelles repose notre droit à la liberté. Si vous cédez, tous les bénéfices acquis seront perdus, tous les sacrifices faits auront été vains : les générations à venir vous maudiront ! Ne vendons pas pour un plat de lentilles notre droit d’aînesse, et pour quelques avantages matériels ce droit à l’indépendance qui est l’honneur de notre pays. Nous avons prêté serment à la République irlandaise : soyons-lui fidèles. Soyons loyaux envers nos frètes qui sont morts pour elle. Plutôt aller en esclavage jusqu’à ce qu’il plaise au Dieu tout-puissant d’abattre nos tyrans ! Vive la République d’Irlande ! »

Voici maintenant l’autre voix, celle de M. Griffith et des partisans du traité : après la voix du défi et de la passion, c’est celle de la saine raison, du bon sens et de la modération dans l’appréciation du possible et la conscience des responsabilités, C’est comme un Thomas Davis qui parlerait après un John Mitchel. « Ne nous leurrons pas : la République n’est pas, elle ne peut pas être actuellement ; elle représente peut-être l’idéal, mais l’idéal irréalisable. Elle n’a à vrai dire pas de base historique chez nous. Ce que nous avons toujours revendiqué, ce