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II

Satisfaction et soulagement : tels sont les sentiments très nets avec lesquels le traité de Downing Street fut accueilli par le gros de l’opinion en Angleterre. Ce qui domine, c’est la détente après une opération grave et qui paraît avoir réussi, c’est un sentiment de délivrance à sentir le sinistre cauchemar dissipé, et abolie l’angoisse de la reprise d’une guerre d’extermination en Erin. Depuis l’armistice de 1918, nul événement n’a produit une impression aussi profonde. Le roi George qui, sans sortir de son rôle constitutionnel, a beaucoup fait pour la paix, télégraphie tout de suite sa « joie » à M. Lloyd George. Et ce dernier ne manque pas de se poser devant ses concitoyens en triomphateur et de monter au Capitole : n’a-t-il pas réussi là où Gladstone et M. Asquith avaient échoué, et résolu l’insoluble question d’Irlande ?

Qu’il y ait en bien des cœurs anglais de l’amertume et du regret à constater la faillite britannique dans l’Ile sœur, à voir s’effondrer un des plus vieux piliers de la Constitution et se clore sans gloire un long et triste chapitre de l’histoire nationale, cela s’explique. Un « traité, » avec un « Etat Libre d’Irlande, » voilà des mots qui sonnent mal aux oreilles de maint fils d’Albion. Mais puisque l’allégeance est respectée, l’Ulster sauvegardé, la Couronne consentante, pourquoi se montrer plus royaliste que le Roi ? Le Gouvernement a traité avec des sujets rebelles ? Eh oui ! comme il a fait en d’autres temps avec les rebelles du Canada, plus récemment avec ceux de l’Afrique du Sud : chez les uns et les autres, la liberté a engendré le loyalisme.

Il semble d’ailleurs qu’il y ait au nouvel ordre de choses bien des avantages. On est heureux de voir disparaître de la politique intérieure ce vieux ferment de trouble qu’était depuis si longtemps la question irlandaise, et de n’avoir plus qu’à laisser les Irlandais se débattre, — et se battre, — entre eux : on sourit d’avance au spectacle des divisions et difficultés qui seront le lot d’Erin livrée à elle-même. Vis à vis de l’opinion étrangère, qui s’est depuis deux ans montrée si sévère pour la politique anglaise en Irlande, on compte que l’Angleterre a fait montre d’assez de générosité, ou tout au moins d’assez de