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si nerveusement autoritaire, fait montre d’une singulière souplesse et d’une patience qu’on a pu qualifier d’angélique : tant il a besoin de la paix irlandaise ! Deux fois le fil est rompu, et deux fois il le renoue de ses propres mains. Il met du sien tout ce qu’il peut. Il cède sur les mots : il ne sera plus question de concession gracieuse, mais de traité, on ne parlera plus d’union, mais d’association. Il abandonne les six réserves du début. Il renonce à exiger l’acceptation préalable de l’allégeance à la couronne, grâce à quoi il finit par obtenir de M. de Valera qu’il envoie des plénipotentiaires (en tête seront Arthur Griffith et Michaël Collins) à une Conférence qui se réunira à Londres, sans condition préliminaire, sans « préjudice, » comme on dit là-bas. C’est avec bien de la peine qu’il les amène là, chez lui, à Downing Street ; mais là, autour du tapis vert, il les tient, et son expérience, son adresse de vieux routier de la diplomatie va triompher. Non sans peine d’ailleurs. Les Irlandais ont un atout dans les mains, l’indépendance, la république : ils jettent cette carte pour obtenir l’unité irlandaise, c’est-à-dire l’inclusion de l’Ulster dans l’Irlande nouvelle. Mais l’Ulster refuse, et M. Lloyd George a promis de ne pas lui faire violence. Tout va se rompre quand M. Lloyd George, après avoir habilement laissé traîner la discussion, se sent en mesure de poser aux Irlandais son ultimatum, avec huit jours pour l’accepter : il a laissé courir le poisson, et maintenant il le « ferre » d’un coup sec. Il s’est montré assez large dans ses concessions, assez beau joueur pour avoir l’opinion pour lui. Et d’autre part, les Irlandais sentent que, s’ils rejettent l’offre ultime, ils verront se détourner d’eux les sympathies du monde, et leur pays menacé d’une guerre d’extermination : à la dernière heure, ils se résignent donc, le cœur lourd, à accepter un pacte qui, tout en restant bien loin de leurs revendications théoriques, assure du moins à leur pays des avantages de premier ordre. L’accord est signé dans la nuit du 5 au 6 décembre 1921, en l’absence des Ulstériens qui ont boudé jusqu’au bout.

Le traité de Downing Street, — ce n’est pas une charte octroyée, mais un véritable traité comme il en serait passé entre deux puissances indépendantes, satisfaction de principe qui doit compter aux yeux des Irlandais et vaut presque une reconnaissance implicite de la souveraineté d’Erin, — est comme tous les traités un compromis fait de concessions mutuelles :