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et déçue par sa victoire, aveuglée par sa passion, victime elle-même de la violence qu’elle a appelée à son aide, elle se divise, elle se déchire et s’épuise. Incapable de se refréner, de se discipliner, l’Extrémisme sombre dans l’anarchie et la guerre civile. Après le triomphe, c’est pour lui la dégradation et la décadence. Puissions-nous voir un jour du désordre s’élever un ordre nouveau et la paix renaître dans Erin délivrée !


Plus violente, plus atroce que jamais, la guerre anglaise en Irlande battait son plein lorsque, le 6 juin 1921, par une lettre publique, le premier ministre britannique, M. Lloyd George, invita les représentants de l’Irlande, c’est-à-dire M. de Valera, « en qualité de leader choisi par la grande majorité des Irlandais du Sud, » et sir J. Craig, chef du Gouvernement constitué dans les six comtés du Nord-Est de l’Ulster par l’Acte de 1920, à prendre part à une conférence en vue de mettre un terme au conflit séculaire. La nouvelle provoqua, selon les milieux, de la joie, de la stupeur, du soulagement, de la consternation, mais surtout une surprise générale. M. Lloyd George n’avait-il pas proclamé naguère qu’il fallait « casser les reins au terrorisme avant d’avoir la paix, » et qu’« il ne saurait y avoir de conciliation avant que le complot soit anéanti, la civilisation ne pouvant admettre pareil défi à ses lois les plus élémentaires ? » Et plus récemment : « Abandonner la force, ce serait capituler devant le crime et le séparatisme. » N’avait-il pas déclaré que « toute cette prétention de l’Irlande à être une nation n’est qu’imposture et mauvaise foi ? » N’est-ce pas hier que le lord Chancelier avait annoncé l’intention d’activer la guerre et de la mener jusqu’au bout avec une main de fer : « nous n’avons personne en face de nous pour négocier. » Or, voici que le premier ministre anglais s’adresse officiellement aux « rebelles, » à ceux qu’il venait de stigmatiser du nom de « bande d’assassins, » et leur propose de venir négocier avec lui à Londres sur un pied d’égalité. A ceux qu’il menaçait de prendre à la gorge, voici qu’il tend la main. Quel coup de théâtre, et qui eut pu s’attendre à une volte-face aussi imprévue, même de la part d’un homme d’Etat qui, comme M. Lloyd George, a si souvent étonné le monde par ses brusques changements de front !