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Ces résultats extraordinaires d’une organisation si parfaitement réglée ne sont obtenus que par une discipline sociale minutieusement observée. Ce communisme est basé sur la théocratie la plus pure. Le chef suprême, l’Inca, n’est pas seulement le représentant du Ciel, il est le fils du Soleil, dieu lui-même, et la moindre désobéissance à ses ordres est un sacrilège puni de mort. Les dépositaires de son autorité sont les princes de sa famille, revêtus comme lui d’un caractère sacré. Pas de pouvoir hors de l’Inca, car le rôle des prêtres est strictement borné à la célébration du culte et il n’existe d’autre loi que sa volonté suprême, qu’entourent un majestueux appareil et une force imposante. Car l’Empire est forcément conquérant et il se doit à lui-même de s’agrandir sans cesse pour faire participer des populations sans cesse plus nombreuses aux bienfaits de la religion solaire et de sa parfaite organisation. C’est le premier Inca Manco Capac qui s’est établi à Cuzco ; ses successeurs n’ont cessé d’arrondir l’Empire : le treizième Inca a étendu sa puissance jusqu’à Quito, sur l’Equateur, à 2 500 kilomètres au Nord, et le quatorzième sur tout le Chili, à 1 000 kilomètres au Sud ; le quinzième Inca, Atahualpa, dont l’Empire est actuellement partagé entre les quatre républiques du Pérou, de la Bolivie, de l’Equateur et du Chili, fut traîtreusement mis à mort par les Espagnols.

Ainsi, la politique et la guerre ne cessaient d’étendre les frontières ; les peuples de récente annexion étaient gouvernés avec sagesse et humanité ; leurs dieux prenaient place dans le Panthéon de Cuzco, et ils pouvaient continuer à les adorer, tout en reconnaissant la souveraineté divine du Soleil. Pour propager la langue et l’esprit de la race dominante, les époux étaient invités à séjourner quelques années à Cuzco et à y faire élever leurs enfants. Des populations entières étaient transportées, mais toujours dans le même climat, échangeant sans murmures leurs terres et leurs biens ; ainsi des noyaux fidèles s’établissaient au centre des contrées récemment conquises, et les tribus de fidélité douteuse, transportées dans le territoire proprement national, étaient mises hors d’état de nuire. L’unité de croyance, de langage, de race s’établissait et, sous la domination de l’Inca, une grande nation se créait ; au moment de l’arrivée des Espagnols, on peut évaluer sa population à environ 15 millions d’habitants, dont 8 millions sur le territoire actuel du Pérou.

L’isolement de cet Empire explique sa formation et son institution.