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barbarie des hommes et leur ont laissé leurs enfants Manco Capac et Marna Occlo, frère et sœur en même temps qu’époux, pour leur enseigner les arts et la vertu. C’est donc d’ici qu’est parti le premier couple inca, pour aller à Cuzco fonder l’empire dont le quinzième héritier Atahualpa tomba sous les coups des Espagnols.

Près du Roc sacré se trouve une large dalle qu’on suppose sans preuve avoir servi aux sacrifices humains, — si tant est que les Incas aient jamais sacrifié des hommes, fait qui reste douteux. En tout cas, le culte du Soleil déroulait en ce lieu ses cérémonies les plus sacrées. Aussi, l’Inca, fils du Soleil, avait-il dans l’Ile un palais dont nous ne pouvons malheureusement pas aller visiter les ruines.

Nous reprenons notre vapeur et nous voici au milieu du lac, dont les rives disparaissent au-dessous de l’horizon. Mais les montagnes restent visibles et la transparence de l’air en dessine tous les détails, mieux encore qu’au départ, et le panorama s’agrandit. Le Mont Blanc est très beau, vu du lac de Genève ; mais c’est une masse isolée, qui ne serait pas à l’échelle de ces grandeurs. Puis le Léman a 70 kilomètres de long sur 12 de large, le Titicaca 200 kilomètres sur 60 ; nous sommes à 4 000 mètres d’altitude et non à 375... Et c’est le soleil des tropiques qui éclaire la scène. On conçoit que les peuples des Andes aient adoré cet astre. Mais tandis que notre ciel reste d’un bleu gris très pale et très profond, voici que les nuages s’amoncellent vers l’Est entre deux blancs massifs ; ils s’épaississent, deviennent gris, puis noirs, et la foudre éclate : c’est le drame de l’orage, presque quotidien, qui anime le décor gigantesque, spectacle d’une écrasante beauté.

Le soleil couchant vient y jeter des couleurs nouvelles, dispersant les nuages, et nous revoyons d’un seul regard, comme dans une féerie, tout ce massif dont la base est rose et le sommet d’un rouge ardent.

Le lac, dont l’agitation nous a donné un mouvement de roulis très sensible, se calme. Le soleil embrasé disparait sous l’horizon. Alors les montagnes s’éteignent et, sous une lumière bientôt blafarde, apparaissent comme de blancs fantômes.

Nous voici à Puno, où les autorités viennent prendre congé de nous avant que nous montions dans notre train.