Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/730

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les masques étaient tombés et vous avez aperçu le vrai visage de ceux qui se croyaient déjà les nouveaux maîtres de la terre. La façon dont ils conduisaient la guerre vous montrait les principes qui allaient diriger leur hégémonie et vous avez senti que l’indépendance de toutes les patries était menacée.

« Combien je suis touché que la reconnaissance pour ma Patrie ne s’adresse pas seulement à son rôle dans la victoire d’hier et qu’elle s’adresse aussi à la pensée française, à nos philosophes du XVIIIe siècle qui ont allumé le grand flambeau de la Liberté. La force de la matière, la puissance de l’esprit elle-même ne fondent rien de durable sans la grandeur morale : voilà l’éclatante vérité que la Grande Guerre vient d’établir une fois de plus. La Bolivie, sœur latine de la France, ne l’a jamais oublié.

« Je lève mon verre en l’honneur de Son Excellence monsieur le Président de la République et du Gouvernement bolivien, au développement et à la prospérité du peuple bolivien. »

Le ministre du Chili, dont j’ai manqué la visite pendant mes courses de la journée, me propose, de la part de son Gouvernement, un train spécial sur la ligne chilienne d’Arica, où le Jules Michelet pourrait venir me prendre. Mais je décline cette très aimable invitation, car on m’attend à Cuzco.

A minuit, après avoir pris congé en regrettant que notre séjour fut si court, nous sommes à la gare, où des groupes d’indiens nous donnent une sérénade accompagnée de danses locales. Ce sont des amusements satiriques qui datent de l’époque espagnole, où l’on voit les autorités affublées de grotesques costumes Louis XV, avec un rôle assez ridicule, mais non odieux.

Mais il est une heure du matin, et le train nous attend. Les représentants de la Grande-Bretagne, des Etats-Unis, du Chili, du Pérou, se sont joints à M. Tinayre ; le général Baldivieso est là avec de nombreux officiers ; nous nous embarquons comblés d’aimables attentions, en regrettant très sincèrement de nous séparer si vite.


Au jour, nous voici à Guaqui sur le pont de notre petit vapeur, qui pousse aussitôt, et le soleil dissipe rapidement la brume. Nous revoyons l’imposante Cordillera Real, ce massif formidable de 200 kilomètres de long qui ferme l’horizon de sa barrière toute blanche, à 6 000 mètres d’altitude ; sa masse