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officiers anglais ont repris leur uniforme pour faire honneur à leurs compagnons d’armes français. Le plus qualifié des assistants me porte un toast émouvant, où il rappelle la fraternité des armes qui nous a réunis pour la défense d’une cause sainte. Il évoque les morts « qui regardent les vivants, » dit-il d’une voix profonde qui s’élève tout à coup pour lancer ces paroles vibrantes : « Si par malheur un Gouvernement britannique les oubliait, il serait honni par la vieille et fidèle Angleterre qui le rejetterait de son sein ! » Un tonnerre de hourras fit explosion, et, après le toast à la France, tous les assistants chantèrent la Marseillaise en français. Vraiment il y a eu la guerre et beaucoup de nos amis s’en souviennent : il faut que nous le sachions.

La nuit est venue, mais notre programme n’est pas terminé : je vais visiter l’usine électrique qui, dirigée par des ingénieurs français, fournit à la capitale la force motrice et l’électricité. Puis il faut endosser la grande tenue pour dîner à la Présidence de la République. Dans le court trajet que nous parcourons pour nous y rendre, la foule, massée sur la place, nous acclame avec enthousiasme. On nous dit qu’à ces altitudes de telles manifestations sont très rares ; mais la France est la première grande Puissance qui ait reconnu la Bolivie, en 1831, et ce peuple ne l’a pas oublié. Aussi la Bolivie est-elle la première Puissance du Sud-Amérique qui ait déclaré la guerre à l’Allemagne : souvenons-nous aussi.

Les membres du Gouvernement, les présidents des Chambres et M. Iturralde, le corps diplomatique sont invités à cette réception ; il y manque évidemment le chef d’état-major de l’armée, le général Kundt, qui commandait ici la mission militaire allemande en 1914 ; il est alors revenu en Europe et a servi sur le front russe jusqu’en 1918 ; le traité de Versailles ayant interdit à l’Allemagne d’envoyer des missions militaires à l’étranger, c’est avec la nationalité bolivienne que le général Kundt a repris ses fonctions à la paix. Un officier de son état-major est venu me témoigner tous ses regrets d’être obligé de s’éloigner de La Paz au moment de mon arrivée, mais il n’a pu différer une inspection urgente. J’ai répondu que je partageais tous ses regrets, mais que je comprenais fort bien la sérieuse raison de service qui l’éloignait de La Paz à ce moment. La presse a commenté cette absence sans aucune aménité et, feignant d’ignorer la loi Delbrück, a demandé une fois de plus si le