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on nous conseille d’éviter tout effort. Le tennis est interdit même aux Anglo-Saxons les plus fanatiques de ce sport ; beaucoup de Boliviens s’arrêtent pour reprendre haleine en montant un escalier.

Les officiers de réserve venus en tenue à ma rencontre sont des ingénieurs français ; une entreprise française a en exploitation des chutes d’eau qui fournissent à la ville force motrice et éclairage : toutes les voies ferrées pourraient utiliser l’électricité, car les torrents des Andes recèlent des forces pratiquement indéfinies et faciles à capter. Leurs mines d’étain et de métaux rares, — (tungstène, antimoine), — ont eu un rendement excellent pendant la guerre, mais la crise actuelle a une telle répercussion que l’exploitation a dû s’arrêter. Ils ont dans ce pays une situation excellente à tous égards.

Le lendemain matin je vais visiter le Couvent des Sacrés-Cœurs où les sœurs françaises donnent aux jeunes filles des meilleures familles une bonne éducation et leur apprennent à devenir bonnes patriotes tout en aimant la France ; je constate que l’enseignement du français y donne d’excellents résultats. Pour cette visite, le ministre des Etats-Unis a tenu à se joindre à moi, et sa présence est très remarquée [1]. Puis je vais au

  1. J’ai reçu récemment la lettre suivante de la sœur supérieure du Collège des Sacrés-Cœurs ! « Vous n’aurez pas oublié, je l’espère, le Collège des Sacrés-Cœurs qui eut l’honneur de vous recevoir lors de votre trop court passage à La Paz. et où les Sœurs de Picpus travaillent depuis quarante ans à faire aimer leur Patrie.
    « L’éducation française que nous y donnons, fort estimée avant la guerre, a été très combattue depuis par des collèges étrangers (dont des allemands). Mais votre visite changea notablement les choses : à la première rentrée scolaire qui la suivit, nous notâmes un désir général de voir les enfants parler français, et je puis dire que presque toutes les familles le demandèrent avec instance en les faisant inscrire. Maîtresses et élèves s’y mirent donc avec ardeur ; des récompenses mensuelles encouragèrent les efforts ; en outre, chaque semaine, l’élève qui s’était distinguée au français était décorée de notre cocarde tricolore et devenait chef pour huit jours.
    « L’étude de notre belle littérature développa le goût de nos plus grandes jeunes filles, et leur enthousiasme fut tel qu’à l’occasion de la fête annuelle offerte à leurs parents, elles voulurent une séance exclusivement française, et nous eûmes l’audace de représenter Esther ! « Nous restions un peu inquiètes sur l’accueil que ferait le public à notre grand classique, mais le succès fut complet et tel, que nous dûmes donner deux représentations pour lesquelles la salle ne suffisait pas à contenir le public. Au premier rang des spectateurs était M. le Ministre de l’Instruction, très Français de langue et de cœur, et ii vient de nous le prouver en nous annonçant qu’à la prochaine rentrée scolaire, en janvier, la langue française sera obligatoire dans tous les collèges de La Paz. Voilà une décision fort importante et dont les conséquences ne peuvent manquer d’être très heureuses pour le maintien et l’augmentation de l’influence française en Bolivie.
    « Nos examens de fin d’année ne pouvaient manquer de donner la note française.
    « Au commencement de cette année scolaire, le collège ayant été officiellement déclaré établissement de secondaire, les examens furent présidés par le Ministre de l’Instruction et le recteur de l’Université. Le premier avait en outre désiré que la directrice du Lycée de filles y assistât, et lui-même voulut faire les examens de français. A sa grande satisfaction, nos élèves de 6e année lui parlèrent de tous nos classiques et lui récitèrent des morceaux choisis avec une aisance qui ne permettait pas de douter de l’étude sérieuse qu’elles avaient faite de notre langue et de notre littérature. Le recteur de l’Université voulut pousser plus loin un examen dans lequel il était maître et exigea des règles subtiles de grammaire, qui n’intimidèrent point nos Françaises-Boliviennes. Mais la directrice du lycée crut devoir protester aimablement, déclarant qu’on prenait des examens de diplomates.
    « L’exposition des travaux d’art qui termine les épreuves scolaires, fut le triomphe du goût français.
    « Votre Excellence me trouvera peut-être fort naïve de lui conter ainsi les succès de la maison, mais je m’en excuserai en vous déclarant, général, qu’il s’agit de vous prouver un résultat auquel vous n’êtes pas étranger ; car, en effet, nos efforts existaient sans doute autrefois, mais ils ont été vraiment connus et appréciés depuis votre visite. »