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la résolution des Alliés d’organiser de plus en plus à leur profit l’activité économique de la Ruhr. A leur récente entrevue de Bruxelles (12 mars), M. Poincaré et M. Theunis ont déclaré qu’ils ne se contenteraient pas de promesses pour évacuer les territoires nouvellement occupés sur la rive droite du Rhin. Le chancelier Cuno, au contraire, proclame qu’il ne cédera pas et qu’il ne paiera rien tant que les Alliés n’auront pas évacué la Ruhr. La Ruhr devient ainsi l’enjeu d’une formidable bataille d’opinion, d’une épreuve de puissance décisive : le conflit est économique et financier, mais surtout moral et psychologique. Il est absolument certain que la France et la Belgique ne céderont pas et qu’elles peuvent attendre que la volonté de résistance allemande soit brisée ; elles tiennent le bon bout et ne le lâcheront pas. Il est non moins certain que le Gouvernement de M. Cuno est obligé de recourir à des moyens artificiels pour galvaniser la résistance « passive ; » il affirme (discours des 22 et 23 mars) qu’il ne négociera pas, mais, par différentes avenues, il fait faire des avances plus ou moins directes et déguisées, il cherche des médiateurs. L’Allemagne et son Gouvernement donnent une impression d’inquiétude et d’affolement en face d’une France et d’une Belgique calmes, sûres d’elles-mêmes et de leur bon droit. M. Cuno a besoin d’une victoire ou d’une paix blanche : il n’aura ni l’une ni l’autre.

De temps en temps, une voix plus sage s’élève dans la presse allemande, comme pour préparer les inévitables solutions : c’est, le 12 mars, M. Georg Bernhardt qui, dans la Gazette de Voss, admet que l’Allemagne a été maladroite et que, seules, des questions de prestige s’opposent à l’amorce de négociations directes franco-allemandes ; c’est, dans le même journal, le 18, le docteur Vogel qui se trompe en croyant que la France veut « anéantir politiquement l’Allemagne par des exigences économiques, » mais qui voit juste en déclarant courageusement : « C’est à nous de commencer. C’est avec la France seule qu’il nous faudrait parler tout d’abord. Nous n’avons pas besoin d’avocat, et les avocats coûtent trop cher... Il nous faut garantir à la France la sécurité de ses frontières ethnographiques et historiques. Si l’on n’aboutit pas à une solution respectant l’unité et la souveraineté des deux États, l’Europe est perdue. » Ce sont enfin les ouvriers allemands qui, plus modestes et plus sages que les délégués parlementaires des socialistes interalliés, réunis à Paris au Palais-Bourbon, constatent la nécessité d’un mariage de raison entre la houille allemande et la minette lorraine. La résistance allemande est, en dépit des apparences, beaucoup plus