Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/714

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une sorte de dictature nationaliste et démagogique. Voilà, pour le Gouvernement, de graves soucis, et il est singulier qu’au moment où le ministère prussien dénonce et poursuit un tel complot, le chancelier du Reich se promène en Bavière, en Wurtemberg, et y prononce les discours les plus intransigeants à propos de la Ruhr, et qu’au moment où les associations nationalistes dépassent toute mesure en Rhénanie et ailleurs, M. Cuno tienne le langage le moins propre à les calmer.

Dans les grandes crises de l’histoire, lorsque leur orgueil follement exalté subit l’épreuve de la déception, les Allemagnes perdent le sens de la direction et la notion du réel ; leur puissance d’illusion collective, multipliée par cet instinct de la discipline qu’elles gardent même en pleine anarchie politique et morale, les rendent dangereuses pour leurs voisins. Les Allemands sont eux-mêmes les premières victimes de leurs propres théories, tant est grande et excessive leur faculté de systématiser : Fichte, l’un des penseurs qui ont façonné la pensée allemande contemporaine, n’enseigne-t-il pas, dans son Discours à la nation allemande, que l’œuvre politique consiste à créer de toutes pièces, par un effort volontaire, des modèles théoriques pour en faire ensuite des réalités vivantes ? Les hommes les plus respectables se trouvent eux-mêmes entraînés par l’ambiance, et rares sont les esprits indépendants qui échappent à la contagion. Une telle Allemagne est, pour l’Europe, une perpétuelle inquiétude, une menace. Les notions de vérité et de mensonge, de justice ou d’injustice, n’ont plus de sens pour elle ; ce ne sont plus que des mots dont on joue dans l’intérêt national : l’intérêt de l’État allemand s’identifie, dans la philosophie hégélienne, avec le Bien.

J’ai montré ici que la faillite monétaire allemande n’est qu’un trompe-l’œil destiné à éluder les réparations et à sauver toute la force de production de l’Allemagne. Le déficit atteint sept trillions de marks, mais l’industrie marche à plein ; les constructions navales se multiplient ; on bâtit des maisons, on trace des chemins de fer, on creuse des canaux, alors que chez nous les grands travaux sont arrêtés, paralysés par l’œuvre de réparation des régions dévastées. Le mark-papier n’a plus qu’une valeur nationale et ainsi se trouve réalisée, — les économistes allemands ne l’ignorent pas, — la conception développée par Fichte dans l’Etat commercial fermé. Pour un État qui tend à s’isoler du reste du monde, Fichte montre qu’il faut d’abord créer une monnaie ayant cours forcé et sans valeur internationale, ensuite saisir tout l’or, l’argent et les devises étrangères entre