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s’il avait pu sincèrement les considérer comme exagérées ou illégitimes. Le Cabinet Cuno, inspiré par les Stinnes et consorts, a choisi la guerre ; il a eu ses raisons que la raison ne connaît pas, mais qui exaltent l’orgueil allemand et servent certains intérêts privés. Les Allemands préparaient, pour une échéance assez proche, une guerre de revanche ; dans l’immense atelier de la Ruhr se fabriquaient par pièces détachées les engins nécessaires à une guerre de machines et de produits chimiques ; les usines de Saxe étaient chargées du montage et du finissage. La Russie des Soviets, de son côté, fabriquait du matériel de guerre. Le contrôle interallié, depuis plusieurs mois surtout, était impuissant à découvrir toutes ces fabrications clandestines. Quant aux effectifs prévus par le traité de Versailles, une série de moyens détournés avait déjà permis de les dépasser et de préparer sous divers déguisements d’importantes formations de réserve : quelques mois encore et on pourrait jeter le masque. L’occupation de la Ruhr a fait échouer tout ce plan, comme elle a déjoué les combinaisons par lesquelles l’Allemagne comptait éluder les réparations. La bataille était nécessaire pour masquer ce double échec ; elle était nécessaire aussi pour renforcer l’unité nationale et l’union des partis, pour la reforger, selon la tradition historique, sur l’enclume française.

Rien n’est plus révélateur, à ce point de vue, que l’assassinat de M. Joseph Smeets. Un tel crime n’est pas l’œuvre d’un isolé, mais le fait prémédité des organisations secrètes, comme l’assassinat de Erzberger, de Rathenau, de Kurt Eisner el de tant d’autres dont le nombre dépasse quatre cents. M. Smeets se savait condamné ; il refusait de se cacher et de quitter Çologne ; il s’y faisait garder par ses fidèles paysans de l’Eifel, dont la vigilance s’est trouvée en défaut, et il comptait sur la protection du drapeau anglais. A qui fera-t-on croire que les Allemands auraient fait assassiner M. Smeets s’il n’était, comme ils l’affirment, qu’un fantoche ridicule aux mains des Français ? La vérité est que M. Smeets travaillait pour sa patrie rhénane et n’aurait pas accepté un concours étranger qui, du reste, ne lui fut jamais offert. Jeune, énergique, silencieux, tenace, M. Smeets, fils d’ouvriers, représente bien cette âpre race de paysans celtiques qui peuplent les montagnes et les plateaux des deux côtés de la Moselle et qui, s’ils sont attachés à la langue et à la culture allemandes, se sentent avant tout des Rhénans et repoussent la domination de ces étrangers, de ces demi-slaves que sont les Prussiens. Il avait fondé le parti séparatiste rhénan et un journal,