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annexer la rive gauche du Rhin et la Ruhr et exhortait les populations à la défense de la liberté et de l’intégrité de l’Allemagne. Sur les voies ferrées, les actes de sabotage, les explosions, ou tout au moins les tentatives, sont fréquents ; plusieurs fois, nos postes ou nos sentinelles, après sommation, ont dû faire usage de leurs armes ; plusieurs Allemands ont été tués ou blessé.

Ces incidents, si l’on tient compte de l’étendue du territoire occupé sur les deux rives du Rhin, ne dénotent nullement une hostilité foncière et générale de la population, mais révèlent la puissance des organisations nationalistes et la volonté du Gouvernement de provoquer des incidents sanglants. C’est précisément parce que la population ne s’émeut pas assez à son gré et, en maints endroits, fait bon ménage avec les Français et les Belges, — M. Maginot le constatait avec plaisir et surprise lors de son récent voyage dans la Ruhr, — que le Gouvernement et les sociétés secrètes provoquent, des crimes et des attentats : il faut raviver l’indignation et surchauffer le nationalisme. Les organisations militaires et politiques qui sévissaient naguère en Haute-Silésie ont transporté leur champ de manœuvre en Rhénanie. Des crédits considérables sont ostensiblement employés à soutenir la résistance « passive. » C’est une guerre, il faut toujours le répéter, une guerre d’un genre nouveau, mais une guerre ; tout est organisé pour la guerre et surtout pour la mise en scène de la guerre. Mentir pour gagner les sympathies du monde et réaliser l’isolement diplomatique de la France, c’est le but. Deux Français sont assassinés ; au lieu de regrets à la France, le président Ebert envoie à la municipalité de Buer ses condoléances « pour la répression sanglante de la fureur militaire française. » À Paris, une note est remise, à propos du même crime, par le chargé d’affaires du Reich : « La population allemande, dit-elle, qui jusqu’ici a fait preuve d’une discipline sans exemple, finira par perdre patience. » Un dessin représente un soldat noir debout et ricanant sur les ruines fumantes d’Essen ! Ainsi, constamment, patiemment, les rôles sont renversés, les faits dénaturés, les intentions calomniées. Tout est truqué, arrangé pour la galerie. Double manœuvre : il s’agit de gagner la bataille d’opinion dont l’occupation de la Ruhr est l’occasion, et d’assurer à l’intérieur la domination du nationalisme prussien sur l’unité resserrée du Reich.

L’intérêt le plus évident commandait au Gouvernement allemand, quand, le 11 janvier, des troupes franco-belges pénétrèrent dans la Ruhr pour y escorter une mission d’ingénieurs chargés d’un service de contrôle et d’une saisie de gages, de se plier à ces exigences, même