Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/706

Cette page a été validée par deux contributeurs.

indiqué, comme il l’a fait à l’occasion, jamais d’ailleurs pour un rôle de premier plan. Tartuffe se fait passer pour originaire d’une petite ville, où Dorine voit déjà son heureuse moitié rendant visite à madame la baillive et madame l’élue ; mais rien n’indique que cette ville soit du Midi plutôt que du Nord ; même, rien ne prouve que cette prétendue origine provinciale ne soit pas une imposture. Que si Tartuffe avait eu l’accent que voilà, Dorine, bon bec de Paris, n’aurait pas manqué d’en faire des gorges chaudes et de contrefaire Mochieur Tartuffe.

M. Guitry a-t-il pensé que, le rôle manquant de comique, il convenait d’en ajouter, et s’est-il avisé de ce moyen de vaudeville ? Mais ne nous creusons pas la tête : tout simplement, cela lui a chanté ainsi. Les rois de la scène, comme les autres rois, ont pour règle leur bon plaisir. Jules Lemaitre aimait à conter qu’à la première répétition en costumes d’une de ses plus fines comédies, il vit arriver l’acteur principal chaussé d’une paire de bottes superbe et imprévue. En vain protesta-t-il que dans sa pièce, psychologique et mondaine, il n’était pas question de bottes. « Je vois le rôle avec des bottes, » répondit l’artiste célèbre, et il le joua comme il le voyait. M. Guitry entend Tartuffe avec l’accent auvergnat ; il le joue comme il l’entend, et probablement cela l’amuse. Pour nous c’est un supplice d’entendre un des grands rôles de la scène française, d’une langue si savoureuse et si délicatement nuancée, d’une versification si souple et si savante, jargonné à la mode des marchands de marrons.

Venons à la composition du rôle. M. Guitry prête à son Tartuffe la mine d’un sinistre coquin et d’un parfait gibier de potence : un visage malpropre, des cheveux qui lui retombent sur les yeux et sur les joues. La cape immense dont il s’enveloppe est moins le manteau troué du pauvre hère que celui du traître de mélodrame. Peu de gestes, un visage immobile. Tout le rôle tenu dans la même teinte sombre ; rien qui prête à rire : un comique de pompes funèbres.

Or il n’y a aucun doute que la machination ourdie par Tartuffe ne soit une chose effroyable. Mais le drame n’éclate qu’à cette fin du quatrième acte, où l’imposteur se démasque et change de ton : « c’est à vous d’en sortir… » Jusque-là, ce que Molière a voulu mettre en relief, c’est le côté comique de la situation. Il s’est appliqué à peindre un caractère ; il a montré en Tartuffe un ridicule ; il a raillé l’hypocrite ; il a joué le faux dévot ; il a dégagé de la fourberie de Tartuffe et de la sottise d’Orgon toute la somme de rire qu’elles