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REVUE DRAMATIQUE


Vaudeville.M. Lucien Guitry dans Tartuffe.


M. Lucien Guitry est un grand comédien. Nul ne conteste ses belles qualités : puissance, naturel, originalité. Est-ce à dire qu’il faille lui passer toutes ses fantaisies, alors même qu’elles atteignent Molière qui fut, lui aussi, un grand acteur, et, par surcroît, un grand auteur comique ? L’an dernier, M. Guitry nous avait présenté du rôle d’Alceste une interprétation, qui était d’un bout à l’autre un contresens appuyé et énorme. C’était l’erreur d’un artiste et qui n’était pas à la portée de tout le monde. Après le Misanthrope, holà ! Mais après Tartuffe, hélas !

On sait assez généralement que, dans Tartuffe, Tartuffe ne paraît qu’au troisième acte, Molière ayant consacré les deux premiers à peindre si complètement son personnage, qu’aucune erreur ne fût possible et qu’on le tint tout d’abord pour un très méchant homme. Le public de l’autre soir était venu pour M. Guitry. Je ne jurerais pas qu’il n’ait éprouvé un peu de mécontentement à le voir tarder tant à paraître : ce n’est pas l’usage que la vedette ne soit ni du un, ni du deux… On frémit à la pensée de ce que deviendrait la connaissance de nos grands écrivains dans la ruine définitive de la culture classique… Enfin la toile se relève sur le troisième acte et, après les quelques répliques de Damis et de Dorine, nous parvient du fond de la scène ce vers, lancé avec le plus pur accent des fils de l’Auvergne :

Laurent cherrez ma haire avec ma dichiplinne.

Ainsi devait-il en être jusqu’à la fin, et telle est la nouveauté que nous réservait M. Guitry : Tartuffe bougnat.

Pourquoi ? quelle raison ? quel prétexte ? Si Molière avait voulu donner à Tartuffe quelque accent que ce fût, nul doute qu’il ne l’eût