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bibelots poétiques et sonores, si peut-être, comme il est permis de le croire, c’est bien cela, cela seulement que les auteurs ont voulu faire, ils y ont réussi.

Leur œuvre est chantée, jouée, décorée, costumée à souhait. Il est seulement dommage que la voix de Mlle Brothier (Dilara) se soit, en se fortifiant, un peu durcie. Au contraire, celle de M. Friant (Narsès) a gagné beaucoup en douceur et en charme. Elle est bien posée, je dirais volontiers superposée : elle donne, je ne sais pourquoi, plus que nulle autre voix de ténor, une impression de hauteur. Et le chanteur a fait de sensibles progrès. M. Audoin (Taher), est excellent. Il nous avait déjà plu dans Cosi fan tutte. Il y figurait avec talent un des deux amoureux, (le baryton). L’autre, (le ténor), était le jeune et regretté Cazette. Père et beau-père de Narsès et de Dilara, M. Hérent chante et joue gaiement. M. Azéma dessine avec une ampleur comique, la silhouette d’un juge vénal et concupiscent. Et vous savez enfin quel chef, quel animateur d’orchestre est M. Albert Wolff, revenu d’Amérique. Nous le prions de n’y point retourner.

L’Espagne et l’Italie nous ont envoyé dernièrement de belles choses. M. Félix Boghen, professeur à l’Institut Royal de musique de Florence, vient d’enrichir encore sa collection déjà considérable de pièces pour le piano des vieux maîtres italiens (XVIIe et XVIIIe siècles) [1]. Trois fascicules récents contiennent des « Canzoni » et des « Partite, » du grand Frescobaldi. Les « Partite » surtout sont extraordinaires. Les titres déjà, les titres seuls, ont la poésie, le parfum du passé : Soprà l’aria della Romanesca, — Soprà « Ruggiero, » — Soprà « la Monicat » — Soprà « la Follia. » — Que ces vieux airs ont donc de jolis noms et qu’ils éveillent d’échos lointains ! Avant toutes les autres « Partite, » lisez « la Monica. » Relisez-la plus que toutes les autres. C’est une série de variations charmantes et superbes tour à tour. Mélodie, harmonie ; les deux modes, majeur et mineur, alternant comme la lumière et l’ombre, comme la joie et la mélancolie ; des traits, des arabesques d’une grâce exquise, tout cela compose un chef-d’œuvre de douceur et de force, de raison pure et de pure sensibilité. Nous le disions naguère, lorsque parurent les premières livraisons, et nous ne nous en dédirons pas à propos de celles-ci : à l’heure trouble où nous sommes et par ce « temps malade, » comme parlent les bonnes gens, que traverse la musique, l’italienne aussi bien que la nôtre, il fait bon d’aller boire à cette source la vie et la santé.

  1. Ricordi, éditeur.