Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/692

Cette page a été validée par deux contributeurs.

l’apprentissage, ne donne que des manœuvres ; c’est un malheur pour les ouvriers, c’est un malheur pour la nation.

Le travail devient de plus en plus rémunérateur. L’ouvrier gagne de mieux en mieux sa vie. L’on devrait donc aimer son métier davantage ; mais l’intérêt ne suffit pas : « Le travail doit avoir une âme. Toujours, il faut revenir à cet idéalisme : aimer ce qu’on fait. Recréer l’honneur des métiers est aussi important qu’assainir les usines… » Voilà ce que dit M. Pierre Hamp ; et qui ne l’approuve ?

Comment recréer l’honneur des métiers ? Il faudrait avoir recréé « une foi dans le travail. » Il faudrait que la fainéantise fût infâme. Or, la France a été « le lieu du plus grand exercice de la guerre ; » la voici obligée d’être « le lieu du plus grand exercice du travail : » est-ce qu’elle n’a point à réparer ses provinces du Nord et à refaire sa fortune ? Sans doute ! Et c’est un bel argument ; c’est l’argument du patriotisme. Après cela, quand M. Pierre Hamp dénigrera le patriotisme et nous engagera, dans ce même livre, à nous établir bons Européens plutôt que bons Français, nous sentirons qu’il ne fait plus que débiter du socialisme. « Toutes les patries se valent ? » Mais il nous a recommandé le soin de l’une d’elles, et de la nôtre, comme la plus vivante raison de n’être pas fainéants.

M. Pierre Hamp cite saint Paul, qui refuse la nourriture aux paresseux. Et il vante une « religion du travail, » où il veut qu’il y ait de la sainteté. Le travail n’a-t-il pas, en vérité, ses saints et des martyrs ? Les exemples ne manquent pas. J’aime beaucoup (et je le dis avec simplicité) que M. Pierre Hamp, ayant jadis été de bouche, mentionne amicalement Vatel, le cuisinier du grand Condé ; il lui consacre une excellente page : « Le métier de cet homme était de gouverner les gens qui faisaient à manger ; basse besogne, qui ne contient pas de gloire. L’art culinaire, si raffiné qu’il puisse être, n’attire pas à qui l’exerce beaucoup de considération ; les métiers les plus utiles ne sont pas les mieux salués. Or, dans ces besognes de bouche, un homme a été le héros : il est mort pour son métier. Quelle application doit mettre à ce qu’il fait celui qui préfère périr plutôt que de ne pas être parfait !… » Jolie pensée, bien attentive ! Mais l’on se moque de ce Vatel, qui se tue parce que la marée est en retard et qui se croit déshonoré, s’il manque de poisson pour les convives de son maître ? Écoutez M. Pierre Hamp : « Se tuer pour cela ne vaut point mourir pour la patrie ; cependant, c’est toujours mourir pour ce qu’on aime. » Et ces paroles sont charmantes.

Un autre exemple : Bernard Palissy, « un saint de la céramique ; »