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Or, la vérité de la guerre dure après la guerre. Comme rien au monde n’eût remplacé la victoire de nos soldats sur les champs de bataille, rien à présent ne remplacerait l’activité de nos ouvriers, de nos fabricants et de nos commerçants. Cela est vrai, utile à dire et opportun.

Mais n’allez pas conclure de là au mépris de l’intelligence. M. Pierre Hamp se donne trop de facilité si, au fécond travail des ouvriers, des fabricants et des commerçants, il oppose le futile ouvrage d’un vaudevilliste ou le sale ouvrage d’un pornographe. Il l’avouera, il l’avoue implicitement : « Des sociétés organisées pour la fabrication, l’entreposage, le transport des marchandises, Venise, la Hollande, ont permis la pleine force de leur génie à d’incomparables artistes. C’est parce que les vaisseaux d’Amsterdam allaient aux Indes et au Brésil que la Hollande puissante de travail put mener trente-sept ans de guerre qui la délivrèrent du joug espagnol, résister à Cromwell, à Louis XIV et porter sur sa laborieuse richesse la grandeur de Rembrandt… Titien aurait-il été cette lumière dans la fortune de Venise, si la république de l’Adriatique n’avait battu des rames de ses galères la Méditerranée et l’Océan, convoyé ses marchands à des points du monde connus d’elle seule et vendu ses miroirs dans tous les harems de l’Orient ? » Rembrandt, Titien, les peintres, glorifient la Hollande et Venise ; pareillement, les grands poètes sont l’honneur de leur patrie et de leur temps. M. Pierre Hamp n’admet-il, écrivains, poètes ou artistes, que les plus grands ? S’il le faisait, il oublierait que la profusion est, ici-bas, loi de nature et condition créatrice ; que le plus haut chêne, orgueil de la forêt, naquit dans un incroyable gaspillage de glands ; et qu’il nous est impossible d’imaginer Homère tout seul poète à son époque.

Les écrivains de moindre génie méritent l’indulgence. N’abattez pas les petits chênes ; vous dévasteriez la forêt.

L’impitoyable M. Pierre Hamp veut bien s’en apercevoir. Quel que soit son mépris d’une œuvre « uniquement littéraire, » il lui trouve une excuse, il lui offre un pardon. L’excuse, c’est la « dévotion au langage français, » dévotion véritable, « amour énergique et total. » Et le pardon : « Que leurs œuvres soient pardonnées à ceux qui ont aimé le beau français… » M. Pierre Hamp vient d’accorder à ces frivoles cette absolution ; il se ravise tout de suite : « Aimer la langue que l’on écrit ne suffit plus, même au plus grand artiste ; il faut aimer les hommes. » Pour entendre cela, il convient de savoir que dix volumes de M. Pierre Hamp sont par lui rangés sous la rubrique,