Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/688

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Vous croyez lire les légendes et les épisodes édifiants d’une image d’Épinal ? Eh bien ! cette histoire est jolie, honnête, un peu alarmante aussi : une intelligence qui a cherché presque au hasard et sans aide son information prouve un beau zèle et a couru des risques dangereux ; elle ne se tire que malaisément de ce désordre où elle est née. Puis l’enfance d’un Gorki vous a tant émus ! Il est vrai que le Russe a du génie, à son étrange manière. Je n’en dirai pas tant de M. Pierre Hamp. Gardons la mesure. Aux lendemains de Quarante-huit, Mme Sand, par générosité républicaine, vous célébrait comme des Homères tous les poètes ouvriers. Elle avait tort ; et ce qui importe, c’est l’œuvre, quelles que soient les difficultés que l’auteur ait surmontées. Si je mentionne les commencements opiniâtres de M. Pierre Hamp, c’est qu’ils expliquent son œuvre et que son œuvre paraît digne d’être expliquée.

L’un de ses livres, intitulé Gens, contient, en guise de préface, une profession de foi très véhémente, naïvement fougueuse, et dont voici le principal : « S’amuser au jeu d’écrire est une occupation sénile… » Pourquoi sénile ?… « Recherchons de dire des choses essentielles ou de nous taire… » Non : M. Pierre Hamp a donné une douzaine de volumes et ne croit pas que tout y soit l’essentiel. Mais il insiste : « Lorsque ce devient un métier que d’écrire, c’est un bas métier… Qu’est-ce qu’un homme de lettres, rien que de lettres ? Carton pâte et papier mâché. Une machine à écrire. Les gens de plume s’insultent par cette parole sur leur travail : c’est de la littérature. » Et puis : « La société voit une plus urgente utilité à fabriquer de fortes chaussures qu’à encrer du papier, car il est plus mal commode d’aller nu pieds que de se passer de lire des inepties. Ce dont l’écrivain peut tirer argument pour sa justification professionnelle n’est point l’apostolat, incident très rare du métier de lettres, mais l’aide à la section industrielle papier, carton et au commerce de librairie… Quelle grandeur et quelle sincérité aurait la littérature d’un peuple où nul n’écrirait qu’à ses moments perdus, pour obéir à l’Esprit !… » Billevesées ? Mais non : les opinions d’un Tolstoï !

Ces opinions, du reste, je les blâme. Nous avons plus d’apôtres que d’écrivains, au véritable sens de ce mot. Si je ne me trompe, il y a grand péril à recommander aux écrivains l’apostolat : veuillent-ils, pour la plupart, être anodins ; le « jeu d’écrire » les engage à une modestie meilleure. Ceux qui attendent la dictée de l’Esprit la guettent, parfois, avec tant d’impatience qu’ils sont bientôt les dupes de leur crédulité avantageuse : ils profèrent alors avec trop de voix de très