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puis dévorante, puis consumant tout. Madame Claës est admirable ; pas assez mère pourtant, mais elle aimait ! Il n’y a plus d’objections à faire contre la passion, quelle qu’elle soit. Le ciel nous en garantisse !

Que faites-vous maintenant ? Et les Drôlatiques, si spirituels, et qui survivront à tout ? Vous n’y pensez donc plus ? Je me rouille ici. Quand ma tête sera un peu plus forte, je me jette dans des études grammaticales, pour être claire avec Ivan ; je ne veux pas lui laisser de livres d’ici à quatre ans ; de livres à apprendre par cœur, bien entendu. Je ne vis que de votre littérature, et du souvenir de mes amis.

Auguste est à Naples. Rome n’a pas eu de charmes pour lui ; il était ravi à Venise, et si son compagnon y eût consenti, il y serait encore. Il m’assure de son zèle sans relâche, et au fait il doit travailler, car, à travailler ainsi, il sacrifie une partie de son avoir.

Adieu, que toutes les joies de la terre pleuvent sur vous ; vous êtes trop vieux ou trop jeune pour celles du ciel. Nous irons, à dater de l’année prochaine peut-être, passer les hivers à Paris. Là, je vous verrai, je pense. Adieu ; amitié bien tendre.


L’année 1834 se termina comme les précédentes par des travaux surhumains : le 14 décembre, Balzac commence, dans la Revue de Paris, la publication du Père Goriot et prépare les Mémoires de deux jeunes mariées [1]. Au début de janvier 1835, Borget rentre en France, passe à Frapesle et emmène à Paris le jeune Ivan muni d’une lettre pour Balzac.


Mon cher Honoré,

C’est mon petit Ivan qui vous remettra cette lettre. Auguste l’emmène à Paris, pour jouir de ses ébahissements à la vue de tant de merveilles. Je ne doute pas qu’il ne me rapporte quelques-uns des bons sourires d’amitié que vous lui prodiguerez. — Vous êtes triste, m’a dit Auguste, votre vie ne vous satisfait pas ; votre ange gardien est malade ! Cette dame est un des cultes d’Auguste, et il est très affecté de la savoir souffrante. Ne vous verrai-je donc jamais l’âme en paix ? Comment se fait-il qu’avec tant d’éléments de bonheur, vous ne puissiez réussir à le caser définitivement chez vous ? Vos ennuis perpétuels

  1. Correspondance, I, 321.