Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/674

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

surplus, pourquoi vous dirais-je cela, quand un ange sublime gémit à vos côtés et que ses larmes, si tendrement dissimulées, ne sont pas comprises ! Puis, je vous entends dire : « Ils s’entendent tous pour me désoler. » C’est qu’au fait nous sommes un trio d’affections, bien différentes, mais toutes fortes et désintéressées. Oh ! ne vous fâchez pas, si moi, indigne, je me place près d’elle ; je n’ai point été épurée par les souffrances qu’elle a endurées, mais je sens, heure par heure, tout ce qui la fait vibrer. Vous ne me reconnaîtriez pas ; je suis devenue presque gaie, allante, parlante, prenant intérêt à tout, m’occupant de tout régler, avant le grand jour qui me verra me coucher pour longtemps. Je suis même assez colorée pour faire oublier ma pâleur native. Je me soigne et me respecte comme une princesse ; je dois à ce petit être qui pendant quatre mois a pris si peu d’accroissement des soins infinis, afin qu’il soit doué d’une vitalité rassurante. Pauvre petit ! Vous ne comprendrez jamais ce que c’est que d’être mère ; ce privilège de maternité nous console de tous ceux que la nature vous a donnés, sans doute comme dédommagement, et aussi de ceux, bien plus nombreux, que vous vous êtes arrogés. J’ai vraiment eu longtemps le désir de vous voir vous marier ; maintenant je n’y pense plus ; le doute m’a envahie ; si vous vous mariez je me réjouirai avec vous, mais je ne hâterai pas d’un seul souhait cette perturbation apportée à vos habitudes, et ce bonheur incertain et inconnu mis à la place d’une existence que des jouissances de tête suffisent à remplir.

Adieu, cher, j’ai peine encore à écrire, bien qu’il n’en résulte aucun mal réel pour moi ; mais j’éprouve une immense difficulté nerveuse à faire agir ma plume. Dites à Laure que je la félicite de s’être conservée belle ; dites à Mme de Berny que je la vénère profondément. Tâchez, vous, Honoré, de venir avec nous, mais pour un temps plus long, qui vous permette de vous reposer d’abord et ensuite de vous distraire.

Adieu encore.


Et Borget ajoute en post-scriptum :

Je vais partir bientôt, Honoré ; veuillez penser au marquis de Salvo [1], si toutefois le marquis veut donner des lettres de recommandation à qui ne l’est pas.

  1. Ami napolitain de Balzac.