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LE NAUFRAGE


La science et l’amour se partagent mon cœur :
Aux murailles des cieux, je lis partout des signes ;
Par delà les couleurs et par delà les lignes,
D’un visage divin j’entrevois la lueur.

L’Éden velouté encor le doux fruit que je mange :
La nouveauté du monde éblouit mon esprit,
Tout s’anime à mes yeux, la pierre me sourit,
Le silence me frôle avec des ailes d’ange.

Le rêve et la raison se fiancent en moi :
Je sais que la matière est la sœur de mon âme,
Et que dans l’invisible est sa suprême loi.

Aussi je vais sans crainte, en chantant, sur la lame
Et je songe, devant l’horizon, noir ou bleu :
« Je ne puis naufrager que dans le sein de Dieu. »

L’INACCESSIBLE


Aujourd’hui, c’est en vain que sourit le gazon,
Comme un tapis fleuri pour la danse des Heures ;
En vain que le troène, orgueil de la saison,
Attire mon espoir vers le plus doux des leurres.

C’est en vain que le cyste éclaire les sous-bois,
Et que les lys, nimbés d’une pâle lumière,
Prolongent leur extase et s’inclinent parfois,
Pareils à des esprits immortels en prière.

Mon cœur est insensible au charme des pêchers
Qu’entoure le labeur musical des abeilles ;
Que me font ces rameaux où des nids sont cachés ?
Tant de parfums et tant de fragiles merveilles ?

Car je suis, malgré moi, l’amant de l’infini :
Le bonheur s’évapore au feu de mon haleine,
La grâce des jasmins, sous mon doigt, se ternit,
Je préfère toujours la fleur la plus lointaine.