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Les deux preuves, donc, sur lesquelles s’appuie Pellisson sont insuffisantes et par suite les assertions qu’il en déduit ne sont pas à ce point certaines qu’elles suffisent à elles seules pour nous faire déclarer imaginaire toute la trame continue de faits concordants qui ont été exposés plus haut.


Représentons-nous bien la passion unanime de l’opinion contre Richelieu après sa mort. Dans des mouvements violents de ce genre, il n’est accusation qui ne trouve crédit contre un homme public profondément impopulaire. Nul de ceux qui eussent pu démentir les fables imaginées contre Richelieu, gens plutôt modestes, peu nombreux, appartenant à cet entourage du cardinal que le ministre avait habitué au silence, n’eût osé intervenir : Corneille ne l’eût pas osé lui-même. S’ils avaient parlé, on ne les aurait pas écoutés. Louis XIII et Richelieu ont dix fois protesté, dans des actes publics, solennels, contre la légende qui représentait déjà, de leur vivant, le premier comme l’esclave du second. Ni les contemporains, ni l’histoire n’ont entendu ces protestations. L’auteur du Cid se faisant le défenseur du cardinal aurait-il été plus heureux ? — on veut en douter. Il a donc laissé dire. Quel homme d’État, même aujourd’hui, ne voit s’accréditer à son sujet, des erreurs dont, malgré les facilités que procure la presse, il est souvent impuissant à faire accepter le démenti et qu’il finit par subir. On était moins armé au XVIIe siècle. Le mystère impénétrable qui entourait la royauté et les ministres, surtout Richelieu, rendait aisées les calomnies et difficiles les rectifications. La passion populaire, plus forte, a accueilli le récit de Pellisson, qui est devenu une vérité admise, incontestable. Le XVIIe siècle l’a cru. Corneille, secrètement flatté, peut-être, de ce qu’une polémique dont le souvenir devait être quelque peu pénible pour son amour-propre, fût présentée sous un aspect semi-politique qui lui donnait un beau rôle, continuait à laisser dire. Ni Boileau, né en 1636, l’année du Cid, ni La Bruyère, né en 1645, huit ans après, ne songèrent à contrôler : le fait paraissait trop bien établi. Ils suivirent. Boileau écrit les vers fameux :


En vain contre le Cid un ministre se ligue,
Tout Paris pour Chimène a les yeux de Rodrigue.


Et La Bruyère, à son tour, au chapitre des Ouvrages de l’esprit : « Le Cid n’a eu qu’une voix pour lui à sa naissance, qui a