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Pellisson, des faits avérés, indéniables, mais des bruits qu’il rapporte, des « conjectures, » qu’il nous laisse libres, encore une fois, de croire ou de ne pas croire.

Il est vrai, après ce préambule plein de précautions, Pellisson se donne plus librement carrière et il finira par raconter avec plus d’assurance que le ministre a été jaloux de Corneille, qu’il a voulu le persécuter et qu’il a exprimé le désir exprès que l’Académie le condamnât sévèrement. L’histoire littéraire n’a retenu que ces dernières affirmations sans faire attention aux réserves prudentes du début. La critique historique, préoccupée de l’ensemble des témoignages accumulés plus haut et contraires, penchera à faire davantage état des hésitations premières qu’éprouva l’historien de l’Académie pour mettre en doute son autorité sur des faits que tant de textes contredisent.

Mais Pellisson invoque ensuite le témoignage de Corneille lui-même. Il écrit : « Corneille a toujours cru que le cardinal et une autre personne de grande qualité avaient suscité cette persécution contre le Cid. » On ignore quelle est celle autre personne. Et pour prouver le sentiment de Corneille dont il parle, Pellisson cite non une lettre du poète toujours vivant et qu’il aurait bien pu consulter, mais deux textes de lui : l’un est une courte phrase que le poète aurait écrite à propos d’Horace qu’il était parait-il, question de faire juger par l’Académie, comme l’avait été le Cid : « Horace, aurait dit Corneille, fut condamné par les duumvirs, mais il fut absous par le peuple. » Quels sont ces duumvirs ? L’un d’eux, dit-on, serait Richelieu, et l’autre, on ne sait toujours qui. L’argument est trop vague. Il est surtout en contradiction formelle, pour ce qui concerne Richelieu, avec l’accueil qu’a fait le cardinal à Horace et la dédicace de la pièce acceptée par lui.

Le second texte est le célèbre quatrain que Corneille aurait écrit après la mort de Richelieu :


Qu’on parle bien ou mal du fameux cardinal,
Ma prose ni mes vers n’en diront jamais rien :
Il m’a fait trop de bien pour en dire du mal,
Il m’a fait trop de mal pour en dire du bien.


Ces vers, qui n’ajoutent rien à la gloire de notre grand poète, ne sont connus que par cette citation de Pellisson. Sont-ils vraiment de Corneille ? A supposer qu’ils soient de lui, leur