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cas où elle contiendrait quelque mot « qui put être mal reçu de Son Éminence. »

Corneille vient d’appeler Richelieu « mon maître : » dans sa dédicace d’Horace il a écrit : « J’ai l’honneur d’être à Votre Eminence. » Ces expressions ont un sens assez précis au XVIIe siècle. Elles indiquent que celui qui les emploie ne se tient pas pour étranger à la personne dont il parle, mais se considère comme attaché à elle par des liens particuliers d’obéissance et d’affection qui, toutes proportions gardées, rappellent, un peu, ceux de la gens à l’époque romaine. Corneille dit appartenir à Richelieu, au service duquel il s’est voué par de tendres sentiments de gratitude et de dévouement. De 1637 à 1642, telles seront ses dispositions constantes. Il n’y a aucune trace du contraire.

Aussi s’explique-t-on qu’au moment de la mort du cardinal, un ami du poète, Claude Sarrau, conseiller au Parlement de Paris, lui écrive, dans une lettre du 12 décembre 1642, qu’il se doit à lui-même de composer un poème à la gloire du grand homme qui vient de disparaître. « Beaucoup le pleureront, lui dit-il, mais personne n’a plus à le pleurer que vous. Si Son Eminence eût vécu, elle vous eût couronné de lauriers. Elle admirait profondément vos œuvres. Vous avez beaucoup perdu en la perdant. » Sarrau, intime de Corneille, devait bien savoir ce qu’il en était des sentiments réels de celui-ci à l’égard de Richelieu.

Ainsi, le faisceau considérable des faits et des textes positifs, directs, émanant des intéressés, concordant tous ensemble, et s’enchaînant les uns les autres, amène le critique à constater que Richelieu ne paraît pas avoir éprouvé le moins du monde à l’égard de Corneille la jalousie qu’on lui prête, et exercé contre lui la persécution que l’on a tant de fois racontée. D’où vient donc la thèse opposée ? Il reste à nous demander quelle en est l’origine et si l’autorité sur laquelle elle se fonde est à ce point décisive qu’elle nous oblige à considérer, d’un coup, comme complètement caduque et inexistante, la masse des preuves qui viennent d’être exposées.


COMMENT NAÎT UNE LÉGENDE

Cette thèse a pour source un récit, celui de Pellisson. Pellisson, ayant publié son Histoire de l’Académie en 1653, ceux de