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C’est ce consentement que Boisrobert a transmis et qui a passé aux yeux de l’Académie pour « un ordre. » Car les Académiciens ont cru et dit en effet que les « puissances supérieures » leur « commandaient » de juger. Chapelain le laisse entendre dans ses lettres et Scudéry en a fait état. Il est à remarquer, cependant, que quand Boisrobert tâcha de décider Corneille à accepter le jugement qu’on lui proposait et qu’il mit en avant Richelieu (Corneille le dit dans une lettre à Boisrobert du 13 juin 1637), il le mettait en avant avec les mêmes expressions mesurées que nous venons de lui voir employer dans sa lettre à Mairet, limitant bien ainsi la portée de l’intervention du cardinal. Corneille écrira en effet, dans sa lettre d’acceptation : « Messieurs de l’Académie peuvent faire ce qu’il leur plaira : puisque vous m’écrivez que Monseigneur serait bien aise d’en voir le jugement et que cela doit divertir Son Éminence, je n’ai rien à dire. »

Si l’Académie avait refusé de juger le Cid, il n’y a pas de doute que Richelieu n’eût pas insisté. Quand on le voit à ce point distrait, à propos de l’établissement de l’Académie, qu’il laisse deux ans et demi les lettres patentes traîner sur le bureau du Parlement sans beaucoup se soucier d’exiger qu’on les enregistrât rapidement, on se persuade qu’il se fût bien moins encore inquiété d’imposer à la Compagnie un jugement qui, après tout, n’était pour lui, comme on vient de le voir, qu’une « distraction. » Il a été souvent en conflit avec des assemblées et pour des sujets autrement graves : il patientait, négociait, cherchait des compromis, cédait plus souvent qu’on ne le croit, attendait toujours et n’employait la manière forte que lorsqu’il y avait nécessité absolue : ce n’était pas ici le cas. Mais, pour les académiciens, la plupart pensionnés par lui, d’âmes craintives, et qui ne pouvaient approcher de Richelieu pour s’en expliquer avec lui, le consentement transmis du ministre redouté était un désir, son désir un ordre : Boisrobert, vraisemblablement, n’y contredit pas, et, n’osant résister, ils s’exécutèrent.


LES « SENTIMENTS DE L’ACADÉMIE SUR LE CID »

Aussi comprend-t-on la façon inquiète dont ils cherchent à rédiger leurs Sentiments. Ils y mettront cinq mois. Chapelain,