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dehors. » Finalement, le Roi marchera avec des troupes sur son frère, qui cédera. Ce n’est guère le moment, semble-t-il, d’ajouter à tant de soucis celui d’organiser une campagne, dont la nécessité ne se fait pas sentir, contre un jeune poète, coupable seulement d’avoir réussi !

En mars, les nouvelles mauvaises arrivent de toutes parts : nos soldats trahis ont capitulé en Valteline ; le surintendant des finances déclare qu’il n’a plus un sol dans le trésor ; Louis XIII, avec une petite armée, doit aller mettre à la raison la ville de Rouen qui ne veut pas lui obéir et mater le Parlement de Normandie qui, dans la misère de l’État, refuse d’enregistrer des édits bursaux. Le Chancelier écrit : « Nous sommes à la lie ! »

En avril, commencent pour Richelieu les angoisses que va lui causer l’affaire interminable de Mlle de La Fayette : les ennemis du cardinal tâchent de profiter de la passion du Roi et d’obtenir par ce moyen la disgrâce du ministre. Richelieu fait entrer la jeune fille au couvent. Louis XIII la rejoint, et, pendant quatre mois, rend à Mlle de La Fayette des visites où le ministre est méthodiquement battu en brèche. Le cardinal va-t-il être disgracié ? Il est dans les transes ! Ses papiers sont remplis des détails de cette affaire extrêmement pénible pour lui : il n’y est pas question une seule fois de Corneille, ni du Cid.

En mai, juin, ce sont les révoltes des croquants dans les provinces de Normandie et de Guyenne. On a redouté un instant que tout le midi ne prit feu à l’instigation de l’Espagne. Il faut envoyer des troupes. Surtout, parallèlement, se poursuit la tragique histoire de la reine Anne d’Autriche entrant en correspondance avec l’Espagne et trahissant le Gouvernement. On a dit que c’était Anne d’Autriche qui avait fait engager Corneille, par un de ses anciens secrétaires, M. de Chalon, retiré à Rouen, à écrire le Cid contre Richelieu, et qui, pour la peine, aurait anobli le poète. Mais en quoi Richelieu pouvait-il considérer que le Cid constituât une attaque dirigée contre lui ? L’accueil qu’il a fait à la pièce tend au moins à prouver qu’il ne s’en est nullement douté. Puis, le succès que le Roi, les ministres, la cour ont ménagé unanimement à la tragédie, impliquerait aussi que personne ne soupçonnait, dans le Gouvernement, le danger public que pouvait représenter pour l’Etat l’exaltation des Espagnols et du duel qu’on a invoquée comme raison de l’irritation du cardinal. Il n’a d’ailleurs jamais existé aucun