Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/635

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et pense toutefois n’avoir point de rival
A qui je fasse tort en le traitant d’égal...


Et il prenait à partie ses critiques avec un mépris et une hauteur souveraines.

Scudéry et Mairet ripostèrent. Les autres suivirent. Du premier coup, le ton de la polémique monta à un degré d’extrême violence. Tous reprochèrent à Corneille son « insupportable vanité, » sa « jactance, l’imbécillité du personnage. » L’auteur du Cid se croyait Jupiter, Mars, l’Empereur ! Il était grisé par le succès et n’avait ni « jugement ni modestie. » La lice était ouverte ; la dispute allait se développer avec une âpreté brutale.

Voltaire évalue à plus de cent le nombre des libelles qui furent échangés. M. Armand Gasté, dans le recueil qu’il a publié des pièces et pamphlets relatifs à la querelle du Cid, n’en a rassemblé que trente-six. En fait, il n’y a guère eu contre Corneille que trois adversaires notables : Scudéry, Mairet et Claveret. Ce sur quoi il faut insister, c’est l’allure que prit peu à peu la lutte, qui devint de plus en plus personnelle, injurieuse, outrageante. Dans ses Observations sur le Cid, Scudéry ne ménageait à Corneille aucune sévérité. Mairet, plus emporté encore, qualifiait Corneille, dans son Auteur du vrai Cid espagnol, de « vanteur, insolent, orgueilleux, imposteur, Corneille déplumé, esprit vain et sot, plagiaire, ignorant. » De son côté, Corneille ripostait à Scudéry par sa Lettre apologétique et à Mairet par son Rondeau où il provoquait incidemment Claveret et les traitait tous avec une passion, une arrogance qui ne reculaient pas même devant les termes les plus violents.

Richelieu, cardinal de la Sainte Église, duc et pair, principal ministre de l’Etat, peut-il, surtout après les vifs sentiments favorables que nous venons de lui voir témoigner à l’égard du Cid et de son auteur, être soupçonné d’avoir inspiré et conduit une mêlée pareille, à ce point furieuse, indigne de lui et de son caractère ? On peut hésiter à le croire. Le public, qui se divertissait de la polémique, en tout cas, ne s’en est pas avisé. Il ne voyait là qu’une querelle entre quatre ou cinq poètes se prenant à la gorge ou plutôt une querelle entre Corneille et Scudéry. Le vendeur de libelles qui étalait sa marchandise au pied de l’horloge du Palais, expliquant l’affaire à ses acheteurs, leur disait : « Ce sont ces maraux de poètes qui se battent à coups de bec comme harengères : il y a déjà huit jours que nous