Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/633

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’imprimer la pièce, chose qui demandait, généralement, des mois, les formalités étant assez compliquées. Cet empressement encore est remarquable. Tant que la pièce demeurait manuscrite, elle ne pouvait être jouée que par la troupe du Marais. Du jour où elle était imprimée, les bandes de comédiens errants en province avaient la faculté de la représenter dans toutes les villes et bourgs du royaume : c’était pour l’auteur la gloire !

Enfin Richelieu donnait une preuve, bien plus manifeste encore, de sa faveur particulière à l’égard du Cid et de son auteur en autorisant sa nièce, Mme Combalet, à accepter la dédicace de la tragédie. Nous avons dit ce qu’était Mme de Combalet. Ceux qui ont parcouru la correspondance de l’oncle et de la nièce savent quelle déférence craintive, quelle affection, la future duchesse d’Aiguillon professait pour le cardinal. Elle n’eût rien osé faire qui ne fût autorisé par lui. En ce temps, on ne dédiait pas une pièce à un personnage, sans lui en avoir demandé la permission, la dédicace entraînant l’octroi d’une somme d’argent. Si Corneille s’est adressé à Mme de Combalet, c’est que Richelieu y a expressément consenti.

Relisons cette dédicace. Le ton, — la part faite du genre et de l’exagération de style nécessaire, — nous renseigne bien sur ce que savait Corneille de la façon dont Richelieu et son entourage avaient accueilli le Cid. Il souhaite que le Cid ait assez de durée pour laisser à la postérité, dit-il, « des marques éternelles de ce que je vous dois… C’est une reconnaissance qui m’est glorieuse, puisqu’il m’est impossible de publier que je vous ai de grandes obligations sans publier que vous m’avez assez estimé pour vouloir que je vous en eusse. » Et il rappelle, en les attribuant, comme il convient, à l’influence de Mme de Combalet, — mais nous savons que Mme de Combalet ne pouvait rien que par Richelieu, — tous les bienfaits dont il a été comblé, entre autres l’anoblissement. Le public croira, en effet, que Mme de Combalet a été le principal artisan de cet anoblissement et l’auteur d’un libelle, le Souhait du Cid en faveur de Scudéry, de 1651, J. Sirmond, collaborateur fidèle et dévoué, une créature de Richelieu, dira en parlant d’elle : « J’honore infiniment celle (Mme de Combalet) qui l’a autorisée (Chimène) par son jugement, procurant à son auteur la noblesse qu’il n’avait pas de naissance. » Évidemment personne, autour de Richelieu, ne paraît se douter, à ce moment, que le Cid ait été écrit contre le