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son médecin Citois qui le sollicitera sa vie entière, vainement. Il fallait que le chancelier scellât et délivrât les lettres officielles nécessaires. Or le chancelier Séguier, personnage inamovible, se trouvait dans la main de Richelieu dont il était l’ami et l’obligé. Il n’eût rien fait en dehors de lui et surtout contre lui. Mme de Combalot n’eût certainement pas réussi à obtenir à elle seule cette grâce, elle qui ne demandait quoi que ce fût au cardinal qu’avec crainte, et, le cas échéant, croyait devoir faire intervenir des secrétaires d’Etat auprès de son oncle. Quant à la reine Anne d’Autriche, nous verrons plus loin qu’elle n’était en mesure, à ce moment, de solliciter pareille faveur ni pour Corneille ni pour personne.

Que ce soit à cause du Cid que Corneille ait reçu l’anoblissement, c’est ce que tous les contemporains s’accordent à affirmer. « Le Cid vous a valu la noblesse, » déclarera Mairet dans son Epitre familière. Corneille écrira à Louis XIV en 1658 :


La noblesse, grand Roi, manquait à ma naissance :
Ton père en a daigné gratifier mes vers.


Lovet, Sarrazin, d’autres ont confirmé le fait. Il faut donc écarter l’idée, — les lettres s’appliquant au père de Corneille,— qu’il y ait eu coïncidence entre cet anoblissement et un projet ancien d’anoblir ce père de Corneille pour ses services de maître des eaux et forêts, le maître des eaux et des forêts ayant quitté sa charge depuis dix-sept ans et ses services étant bien oubliés. Le fait que les lettres d’anoblissement sont de janvier 1637, le mois même du Cid, atteste, par la promptitude avec laquelle elles ont été octroyées, la vivacité des impressions qu’éprouvait Richelieu.

D’autre part, Richelieu inscrivit Corneille pour une pension de quinze cents livres sur sa propre cassette, somme qui eût représenté, il y a quelques années, sept à huit mille francs de rente, chiffre respectable. Il vit Corneille. Il causa avec lui. Corneille, préoccupé de l’accusation qui commençait à courir contre lui que le Cid n’était que la copie d’une œuvre espagnole de Guillem de Castro, voulut s’en expliquer avec le cardinal et lui demanda la permission de lui montrer le texte espagnol, afin qu’il comparât. Richelieu, qui savait l’espagnol, y consentit volontiers. Le 21 janvier 1637, le mois même du Cid, Richelieu faisait accorder à Corneille « par le Roi en son conseil, » le privilège