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RICHELIEU ET CORNEILLE

Tous les documents du temps s’accordent à reconnaître le succès considérable qu’eut la pièce, jouée, pour la première fois, vraisemblablement, le 7 janvier 1637, à en croire la lettre de Chapelain du 22 de ce mois. La foule s’enthousiasma et s’écrasa au théâtre du Marais. La Cour suivit. Louis XIII exprima le désir de voir jouer la pièce au Louvre et fit revenir jusqu’à trois fois les comédiens, tellement il avait été enchanté.

Or, et ici il faut suivre attentivement les faits pour nous rendre compte des sentiments réels qu’a éprouvés Richelieu, Richelieu partagea entièrement l’engouement universel. Non seulement il assista aux représentations du Louvre, mais il fit jouer deux fois le Cid à son propre hôtel : c’est Corneille qui nous le dit. Mme de Combalet, future duchesse d’Aiguillon, la nièce aimée, préférée, dévouée du cardinal, son écho et son ombre, manifesta de façon très vive la satisfaction qu’elle éprouva. Elle vit Corneille, lui dit son admiration, le combla d’éloges. Les impressions de Richelieu lui-même, nous les avons dans l’abbé d’Aubignac, confident du cardinal, et qui a recueilli de ses conversations avec le ministre le jugement de celui-ci. Corneille était « le maître de la scène ; » il avait fait une pièce « merveilleuse ; » son Cid était « admirable, plein de beautés. » Richelieu allait témoigner publiquement des sympathies qu’il éprouvait à l’égard de Corneille par les faveurs qu’il allait lui prodiguer, d’autant plus remarquables que, comme nous l’avons vu, il demeurait en général indifférent à ce qui était étranger à ses affaires.

Il le fit anoblir. Il n’y a pas de doute : dans l’état du Gouvernement à cette date, nous le verrons mieux tout à l’heure, c’est lui seul qui, avec le Roi, disposant de cette grâce, a pu la faire accorder. Elle était insigne. Elle tirait l’heureux bénéficiaire de la « honte » d’être inscrit à la taille : elle l’exemptait de certains impôts, raison pour laquelle le Gouvernement se montrait assez avare de cette distinction. C’est avec beaucoup de peine qu’en juin 1636 Richelieu avait consenti à céder aux instances anciennes de Boisrobert en le faisant anoblir, ou plutôt en faisant anoblir son père, car ainsi procédait-on afin d’allonger, sans doute, tout de suite, d’une génération la nouvelle famille. Mais le cardinal n’a jamais cédé aux demandes de