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Angleterre sous l’accusation d’avoir voulu empoisonner le cardinal, n’a jamais eu d’intimité avec Richelieu et n’a certainement reçu aucune confidence de lui. Mais Corneille va nous donner lui-même une autre explication de sa rupture avec le groupe des cinq auteurs.

Il était déjà fort connu. Le succès de Mélite en 1629 avait répandu son nom dans le public. Scudéry, publiant en 1631 sa tragédie de Ligdamon et Lidias, avait sollicité de lui un quatrain élogieux à mettre en tête de la pièce, et, en 1633, un madrigal pour le Trompeur puni. A son tour, Corneille avait demandé en 1633, pour sa pièce la Veuve, des vers exaltant ses mérites à vingt-six auteurs parmi lesquels : Boisrobert, Scudéry, Mairet, Rotrou, Claveret. C’est après la Galerie du Palais de 1634, la Place royale de 1635 et Médée qui avait eu un vif éclat, que Boisrobert avait prié le jeune poète de collaborer avec lui. Ce jeune poète connaissait donc sa valeur.

Corneille, de plus, n’avait pas le caractère facile. De son père, il tenait une humeur âpre et absolue, Chapelain écrit un « esprit bourru » et Fontenelle dit « mélancolique, brusque, » quoique au fond il fût assez brave homme. Une collaboration avec lui n’était pas aisée. Son génie ne s’accommodait pas d’une tâche en commun, sous une direction tatillonne et médiocre comme était celle de Boisrobert. Dans sa pièce de vers l’Excuse à Ariste, sous la fiction de répondre à quelqu’un qui lui aurait demandé de composer des chansons à mettre en musique, il indique la répulsion insurmontable qu’il éprouva à subir plus longtemps la geôle de cette collaboration. Il préférait reprendre sa liberté et exprimer ses propres idées plutôt qu’ajuster sa lyre à suivre les fantaisies d’un guide pointilleux.


Son feu ne peut agir quand il faut qu’il s’applique
Sur les fantasques airs d’un rêveur de musique...
Enfin cette prison déplaît à son génie,
Il ne peut rendre hommage à cette tyrannie,
Il ne se leurre pas d’animer de beaux chants
Et veut pour se produire avoir la clef des champs...


Telle serait l’explication, plus naturelle et plausible, du fait que Corneille aurait abandonné le groupe des cinq auteurs. La « clef des champs » prise, on le sait, Corneille écrivit le Cid.