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Il y a mieux : ne pouvant aller assister à des représentations dans des salles populaires comme le théâtre du Marais ou l’Hôtel de Bourgogne, Richelieu, encore en grand seigneur, fera construire une salle de spectacle dans son hôtel de la rue Saint-Honoré. Il en fera même construire deux, dont la seconde a servi à Molière. Enfin, geste de Mécène en usage à cette époque pour les personnages en vue et riches comme lui, Richelieu manifestera son intérêt à l’égard des gens de lettres et notamment des auteurs dramatiques, en leur donnant des pensions.

Mais s’il a aimé le théâtre et favorisé les poètes, a-t-il été jusqu’à être lui-même auteur dramatique ? On le dit. La première mention, croyons-nous, du fait, se rencontre dans un des plus ardents pamphlets qui aient été écrits contre lui, la Milliade de 1636. Il y a lieu de remarquer que dans les innombrables papiers de Richelieu on ne rencontre aucune trace de cette occupation du cardinal. Si Richelieu employait ses loisirs, — quand il en avait, — à élaborer des tragédies, on devrait avoir au milieu de ses dossiers quelque lettre écrite à lui ou par lui mentionnant une allusion à un sujet de pièce qu’il se proposait de traiter, aux péripéties d’une intrigue : on découvrirait peut-être un fragment de tragédie en cours de composition, des ébauches de scènes, des vers, jetés par hasard sur le coin d’une page en une heure de distraction ou de rêverie (les brouillons et les bouts de feuillets épars abondent dans ces dossiers). Il n’y a rien de pareil. Sauf huit vers que Boisrobert lui attribue dans son recueil du Sacrifice des muses et auxquels sans doute fait allusion J. Sirmond dans sa Lettre déchiffrée, sauf peut-être aussi, mais c’est moins que sûr, des quatrains de la France mourante de 1621, qu’on lui attribue, on ne connaît pas de poésie de Richelieu ni d’autographe de lui relatif à la composition d’une pièce de théâtre.

Peut-être l’affirmation vient-elle de conversations du ministre amplifiées. Nous avons dit que le cardinal, après ses repas, se promenant dans ses jardins, causait volontiers de théâtre. M. de Bautru, comte de Serrant, lui présenta un jour Desmarets de Saint-Sorlin, qui plut et revint. Richelieu aurait poussé Desmarets à écrire des pièces. Il est possible que, s’entretenant avec lui de sujets pour ces pièces, émettant des idées, suggérant des combinaisons, il ait ainsi donné lieu au bruit d’une collaboration à dos tragédies qu’on lui a ensuite en partie attribuées.