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sont occupés ailleurs ; en voilà plus qu’il n’en faut pour que les langues se délient et que les gens parlent à cœur ouvert.


18 octobre. — A dix heures, Pierre Weissenburger vient me proposer de monter avec lui à Sainte-Odile... Malgré le temps brumeux, je me décide à l’accompagner, d’autant plus volontiers que je n’ai pas été là-haut depuis trois mois et que je ne demande pas mieux que de me dérouiller un peu les jambes. Nous ne rencontrons pas un chat, et, tout en devisant comme les deux disciples d’Emmaüs sur les graves événements qui se passent autour de nous, nous gravissons la montagne sainte.

Grâce au bagout de Pierre nous arrivons presque sans nous en apercevoir au couvent qui a l’air de dormir déjà de son sommeil d’hiver. On ne voit dans la cour ni sœur ni frère. Après une longue attente, une portière répond à notre coup de sonnette, et nous entr’ouvre l’huis du couvent. Reconnaissant des figures amies, elle esquisse son plus aimable sourire, tout en nous prévenant que MM. les directeurs sont déjà à table, mais qu’on tâchera de nous trouver quelque chose tout de même. Nous ne demandons pas mieux, car la promenade a aiguisé notre appétit ; puis on nous fait entrer dans la grande salle où brûle un bon feu de bois, et, le dos tourné au feu, nous faisons honneur au repas dont le menu ne se ressent encore nullement des rigueurs des temps : un potage mousseline, une boite de sardines avec du beurre frais, civet de lièvre avec purée de pommes de terre, carottes, rissoles de cervelle, jambon et salade, tarte de quetches. Il y en a plus qu’il n’en faut pour apaiser noire vigoureux appétit. Un bon café avec petit verre de framboise accompagné d’une bonne pipe et la verve inépuisable de Pierre qui ne tarit pas, nous font passer quelques bons moments. A la guerre comme à la guerre ! Quand on n’est pas sûr du lendemain, autant vaut profiter des courts instants de joie qu’on peut attraper par ci par là. Puis la sœur vient me prévenir que le directeur nous attend dans son bureau. Nous montons : l’abbé Caspar installé dans son fauteuil, fume sa petite pipe. Il a toujours son sourire narquois et ses yeux malicieux. Quant à l’abbé Hans, son digne acolyte, les deux mains sur les genoux, le corps penché en avant, il a l’air d’un grand enfant naïf et curieux. Leur première question est : « Et les nouvelles ? Pas celles des journaux, mais les autres, les bonnes ! » Nous vidons