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8 septembre. — ... Hier soir, le journal nous apprenait que le kaiser était devant Nancy et qu’il se disposait à prendre d’assaut les positions françaises. Cependant, le bruit circule ici que les Allemands ont subi une grosse défaite et qu’ils ont même été forcés d’abandonner Lunéville.

Le père H... qui est venu ce matin charger les outils de son fils sur une charrette, me raconte que celui-ci est de nouveau dans la Lorraine allemande. Ces jours derniers, il leur écrivait de Lunéville. Il faut croire qu’il y a du vrai dans les rumeurs publiques. Pourtant, après la bataille de Sarrebourg, nos journaux prétendaient que l’armée française était en débandade et qu’elle ne pouvait plus se reformer. Somme toute, de ce côté-là, la campagne ne me paraît pas compromise.


14 septembre. — M’étant rendu ce matin au Klingenthal, je vois en passant l’ami H... en train de bêcher son jardin. J’entre, et tout naturellement, on parle de la guerre, des vexations que les Allemands nous font subir, etc. Personnellement, mon ami n’a pas à s’en plaindre ; en ville, on est moins inquiété par les gendarmes qu’au village, et puis il a des fournitures militaires. La possibilité d’un retour de l’Alsace à la France, à la suite de cette guerre, commence à germer dans certaines cervelles strasbourgeoises, et nous envisageons, sans y croire du reste, les conséquences. Ayant tous deux des situations indépendantes, un changement de nationalité n’est pas fait pour troubler notre existence matérielle, mais il n’en serait pas de même pour les nombreux Alsaciens qui ont fait leurs études en Allemagne, et qui ignorent la langue française... Le moment n’est pas encore venu de se casser la tête sur un problème qui sans doute ne se posera pas.

La défaite de Nancy se confirme, les Français sont de nouveau sur la frontière.

Durant quelques jours nos journaux n’ont pas publié de communiqués ; le 10, ils ont avoué la retraite d’une aile ; depuis, on reste dans le vague sur l’issue de la grande bataille. Le public allemand est un peu déçu, il était si habitué à lire tous les jours au dessert la nouvelle d’une victoire, qu’il a du mal à supporter cette immobilité.

Les journaux n’ont plus ce langage insultant mêlé à l’ironie qu’ils avaient au début en parlant de la France.