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Cette visite me laisse sous une impression désagréable, je me sens humilié d’être obligé de me disculper devant des individus dont il y a un mois j’ignorais l’existence, et qui sont devenus les arbitres de nos destinées.


7 septembre. — Pour ne pas donner matière aux racontars, je n’avais pas voulu aller hier au Klingenthal chez mon ami, mais ce matin, je n’y tenais plus. Pour m’y rendre, j’ai pris par la forêt, délicieuse par cette belle matinée de septembre. Quelques petites filles y ramassaient du bois mort. De gens valides on n’en voit plus beaucoup, ils sont tous à la guerre. Une violente canonnade se faisait de nouveau entendre, et tout en cheminant, je me disais : « La drôle de guerre ! Voilà les Allemands devant Paris, et on se bat encore dans les Vosges. Et Nancy la coquette, comme l’appelait ironiquement la Post de Strasbourg, ne s’est toujours pas rendue. »

Mon ami S... que je trouve assis sur un banc du jardin, où il se fait griller par le soleil, me dit que lui aussi avait eu la visite des gendarmes et qu’ils avaient fouillé toute la maison pour rechercher un espion qu’elle devait abriter. Cet espion, d’après la lettre, ne serait autre qu’un commandant français, mon beau-frère. Nous ne pouvons nous empêcher de rire de ce conte invraisemblable. Mais les gendarmes le prenaient au sérieux et avaient placé les gardes-champêtres en faction devant les issues du jardin, pour empêcher l’évasion du commandant. Après avoir poussé leurs investigations depuis la cave jusqu’au grenier, sans avoir rien trouvé de suspect, les gendarmes étaient repartis, non sans dire à mon ami que je leur avais été signalé comme ami politique de Laugel.

J’avoue qu’avant la guerre, je taxais d’exagération les idées de mon ami, qu’il puisait dans les ouvrages de Bernhardi et consorts. A mon avis, elles étaient l’expression d’une infime minorité. Ce qui s’est passé depuis me fait croire que Laugel avait raison, car tous nos journaux ont bien dépassé la note des Bernhardi et autres.


La vérité, cependant, commence à poindre en Alsace, et la vérité est que les Allemands ont échoué devant Nancy. Aussitôt, le ton des journaux a changé.