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l’Allemagne. Mais au fond des âmes, couvait une flamme mal éteinte, toujours prête à se rallumer : la guerre fut l’étincelle. L’école allemande était parvenue à dénationaliser l’Alsace ; elle ne lui avait pas donné la nationalité allemande, elle ne lui avait pas inculqué l’idée que Sedan avait été une victoire. C’est pourquoi, au bout d’un mois, l’Alsacien espérait la défaite de l’Allemagne, alors qu’elle n’osait pas encore y croire, sachant la supériorité de l’instrument de guerre forgé par le Grand Etat-major.

Et les désillusions suivent les désillusions, à mesure que l’on apprend l’incendie de Louvain, les massacres de Belgique, le bombardement de Reims. Puis à l’indignation viendra bientôt s’ajouter l’inquiétude. Chacun craindra de passer pour suspect : un régime de terreur et de délation s’organisera en Alsace.


29 août. — Il paraît que les Allemands possèdent un mortier du calibre énorme de 42 centimètres, capable de détruire d’un seul coup les revêtements d’acier les plus épais ; c’est grâce à lui qu’on a pu réduire au silence les forts de Liège en si peu de temps. C’est sur lui que l’on compte pour mettre en miette ceux de Paris. Les journaux sont pleins de détails sur ce monstre dont la fabrication et les essais ont pu se faire sans que l’étranger en ait eu vent. Il n’était connu que de quelques initiés, et tout le monde admire qu’un pareil engin ait pu être fabriqué sans qu’aucun ouvrier ait trahi le secret. Le sort de Paris me parait décidé, et je trouve justifiées les mesures que prend la direction du Louvre pour déménager ses tableaux. Après Louvain, tout est à craindre. Nos journaux passent sur l’incendie de la bibliothèque, sur la destruction des choses les plus belles, avec une aisance qu’on pourrait croire inconsciente si, d’autre part, ils n’établissaient par a plus b que ces actes de vandalisme sont le châtiment mérité des crimes d’une population qui ne connaît pas les lois de la guerre.

Il m’est impossible de décider si les habitants de Spa, Dinan, Louvain ont vraiment fait le coup de feu sur les Allemands. Il y a des Belges qui prétendent que non, d’autres qu’ils étaient dans le cas de légitime défense. La question que je me pose est celle-ci : ces coups de feu méritaient-ils vraiment d’être punis par l’incendie d’une ville comme Louvain et d’une pareille bibliothèque ? Combien de savants allemands ont maudit depuis 1870 le bombardement de la bibliothèque de Strasbourg, arrêtés qu’ils étaient dans leurs études historiques par le manque de