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outillé et qui avait de longue main préparé son coup. Dans l’histoire de la guerre, cette page ne sera pas un titre de gloire pour l’Allemagne.

La route de Paris est maintenant libre, et à moins d’un miracle, la France doit être vaincue.


LES DÉSILLUSIONS

Aux derniers jours d’août, un changement soudain se produit dans l’esprit de M. Spindler. Avec une franchise émouvante, il va, jour par jour, confesser ses désillusions. Son honnêteté se révolte contre la mauvaise foi et la sauvagerie des Allemands ; son bon sens proteste contre les vexations absurdes que le pouvoir militaire inflige aux Alsaciens ; des soupçons et des délations mettent sa liberté en danger. En même temps, il voit, tout autour de lui, sourdre des sources de colère et de haine. Il constate que chez les paysans, chez les bourgeois d’Obernai ou de Strasbourg, chez les vieux comme chez les jeunes, chez ses propres enfants, un sentiment nouveau s’est fait jour : tout le monde est devenu « très français, » — étrange évolution d’un peuple qui, en apprenant à connaître ses maîtres, apprit à se connaître lui-même, et dans un mouvement de révolte silencieuse, prit conscience de sa véritable hérédité.


27 août. — Malheureusement, la tuerie et l’incendie de Saint-Maurice ne sont pas un fait isolé. Il y en a eu bon nombre d’autres du même genre dans le Haut-Rhin et en Lorraine. J’avoue que tout cela modifie du tout au tout l’opinion que je me faisais jusqu’à présent de l’armée allemande et de sa discipline. L’arrêté du major, commandant de Saverne, donne aussi à réfléchir : défense de parler français aux prisonniers de guerre, de se servir de cette langue dans les lazarets, d’envoyer des lettres de faire-part en français, etc. Puis les cafés de Strasbourg forcés de changer de nom : le Westminster s’appelle maintenant Kaiser-Caffee ! la Ville de Paris, Fürstenhof ! que sais-je ? Je croyais jusqu’à présent l’Allemand au-dessus de ces petites mesquineries.

Mme H..., pour excuser les troupes allemandes d’avoir saccagé les fermes du Kilbs, prétendait qu’elles avaient été frappées du nom de l’un des fermiers, Dollé, à cause de la désinence française. Avec ce système-là on peut aller loin, et