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19 août. — L’espionnage sembla en général inquiéter beaucoup les Allemands. Eux qui, en 70, ne pouvaient assez se moquer des Français qui attribuaient leurs défaites à la trahison, tombent maintenant dans le même travers, et c’est surtout nous autres Alsaciens qu’ils accusent de ce crime. Si quelque part un factionnaire essuie un coup de feu, c’est un Alsacien-Lorrain qui a fait le coup ! Le résultat de cette manœuvre, c’est que tous nous devenons suspects et qu’officiers et soldats se croient chez nous en pays ennemi.


21 août. — Aujourd’hui a eu lieu la grande bataille impatiemment attendue. Les Français l’ont perdue !

Je vais à Bœrsch lire la Post. Ultimatum japonais et mort de Pie X. A tout autre moment, la mort du Pape aurait ému l’opinion publique. Dans les journaux, l’ultimatum prend une importance bien plus grande.

Hier, le général Daimling a dû passer par Bœrsch sans doute pour porter son quartier général plus en avant. C’est signe que les Français sont refoulés sur toute la ligne. On nous dit aussi que Schirmeck a été brûlé par les Allemands, parce que les habitants avaient accueilli les Français par des ovations et leur avaient donné des renseignements. Impossible de contrôler la vérité de ces faits ; mais l’insistance que mettent les journaux à les publier me fait croire qu’on cherche un prétexte pour nous appliquer des mesures draconiennes.

Les blessés continuent à affluer à Rosheim. On a vu aussi passer des prisonniers par Molsheim et par Strasbourg : ils sont pour la plupart des environs de Lyon. Cette quantité de prisonniers ne me dit rien qui vaille sur la force de résistance de l’armée française.

... Cet après-midi, à Obernai, je vais voir la femme du garde-général : « Nos affaires, me dit-elle, sont rétablies. » Elle proclamait d’autant plus son triomphe qu’au moment de l’alerte, les Allemands n’avaient pas précisément fait preuve de résolution. Elle nous avait dit à sa dernière visite : « Si les Français arrivaient, je me recommanderais de vous. » Maintenant, c’est un autre son de cloche. Je ne me gêne nullement pour lui raconter les exploits de nos garnisaires. Elle insinue que les hommes nous ayant entendus parler français, se sont crus sans doute en pays ennemi. Elle nous dit qu’elle a eu sa