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Nous allons faire un tour à travers les diverses propriétés dont la garde nous a été confiée. Nous commençons par la maison Ott, et le spectacle qui s’offre à nous dès les premiers pas, est peu réjouissant. Je ne parle pas du jardin qui parait avoir servi de latrines à tout le bataillon et dont le gazon est piétiné, arraché, mais l’intérieur de la maison ! Il faut l’avoir connue dans sa méticuleuse propreté pour juger ce qu’en une nuit quelques hommes, et encore des officiers ! ont réussi à en faire. Les chambres à coucher présentent l’aspect d’une écurie ; il a plu toute la journée ; tapis et parquets conservent la trace indélébile des bottes de leurs hôtes : le départ a été précipité, les eaux de toilette et autres non vidées accentuent l’impression de désordre ; on a fouillé dans toutes les armoires, déchiré toutes les publications françaises, sans doute par un sentiment de patriotisme. Quant aux cabinets... La baignoire du joli cabinet de bain a servi de vomitorium ; les cuvettes et les prises d’eau ont partout servi de déversoir pour les gamelles ; tous les conduits ont été bouchés par la soupe au riz que les hommes ont dédaignée. Dans tous les coins il y a des bouteilles vides dont nous ne devinons pas la provenance. En descendant à la cave, nous avons l’explication. On a forcé la porte, vidé un tonneau, démoli le cadenas de l’armoire aux vins fins dont les casiers présentent partout des vides. Il y avait du champagne, des vins vieux, des eaux-de-vie fines. Impossible d’estimer dès à présent la quantité de bouteilles chipées. L’armoire aux conserves a subi le même sort.

Nous racontons au peloton des équipages les méfaits de leurs camarades. Notre indignation n’a pas l’air de les émouvoir ; je suppose qu’ils étaient au courant.

Chez mon beau-frère, c’est le même désordre, mais les papiers des chambres n’ont pas souffert ; cependant ils ont forcé les portes du grenier et de la cave. Dans cette dernière, ils ont vidé toutes les bouteilles, mais comme il n’y en avait qu’une trentaine, le dommage n’est pas grand. Au grenier, ils se sont emparés d’un canapé fraîchement recouvert, l’ont démonté, et s’en sont servi en guise d’oreiller.

Chez Laugel, l’état de la maison est assez satisfaisant, sauf qu’on a fouillé dans les armoires où l’on a découvert un album de Hansi que je vois étalé sur la table. Quant au grenier à foin, il est complètement vide.