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LES WURTEMBERGEOIS A SAINT-LÉONARD

La guerre se rapproche ; les Français sont à Schirmeck. On fortifie le Nationalberg devant Saint-Léonard. Les Allemands ont, dit-on, essuyé une défaite à Saint-Blaise. Une patrouille de dragons harassés et affamés traverse Saint-Léonard, L’officier qui la commande raconte que les Français vont déboucher par le Klingenlbal, que le plan de l’État-major est de les attirer dans la plaine afin de les cerner. Saint-Léonard sera donc en pleine bataille. L’officier recommande aux habitants de se réfugier dans leurs caves et les avertit de la venue d’un régiment. Le régiment arrive et son passage suggère à M. Spindler des réflexions intéressantes. Ce premier contact avec l’armée allemande en campagne lui a paru fâcheux. Il faut transcrire ce récit, car de toutes les causes de colère et de dégoût que la guerre apporta aux Alsaciens, une des premières fut l’attitude des soldats allemands. Ces troupes qu’ils contemplaient naguère, — non sans ironie, — défilant au pas de parade, se ruaient maintenant sur le pays, comme si elles eussent été chez l’ennemi.


15 août. — On annonce à Bœrsch que la grande bataille d’hier a été perdue par les Allemands, qu’elle s’est étendue depuis Lorquin jusqu’au Donon et que les Français sont à Schirmeck. La lecture de nos journaux, depuis le début de la guerre, nous a si peu habitués aux succès français que notre premier mouvement est l’incrédulité. Cependant nous sommes bien obligés de nous rendre à l’évidence quand nous voyons déboucher une patrouille de dragons allemands qui s’informent au village si personne n’a vu de soldats français. Si on en cherche ici à vingt kilomètres de la frontière, c’est qu’ils ne doivent pas être très loin.


16 août. — Voici qu’arrive le régiment annoncé... Ils ont l’air exténué, beaucoup traînent la jambe, tous puent la sueur d’une longue étape. Ils viennent du Wurtemberg, et, depuis quatre jours, ils ne cessent de marcher, la plupart du temps à travers la montagne... Ils ont vu les Français, mais il n’y a pas eu d’engagements.

Après avoir fait à la hâte de la place pour dix-huit chevaux dans la grande écurie de Laugel, je me rends chez moi. C’est une invasion. A tous les balcons, à toutes les fenêtres, pendent