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rendra facilement, car il aura en lui-même senti s’accomplir un revirement pareil. De l’Allemagne, l’Alsace ne connaissait, le 1er août 1914, que des dehors de puissance et de force ; tout le reste lui était caché par un voile que la guerre allait brusquement déchirer.


5 août. — Les journaux nous apprennent qu’un avion français a laissé tomber des bombes sur Nuremberg, qu’on a essayé de faire sauter le tunnel de Cochem, mais sans succès ! Décidément, c’est comme en 70 ! Les efforts français sont toujours erfolglos.


7 août. — Depuis deux jours, des soldats sont occupés à démolir la voie ferrée qui va d’Erstein à Ottrott, dans la crainte sans doute que les Français, en cas d’invasion, ne puissent s’en servir pour atteindre le Rhin. Les soldats chargés de ce travail sont logés chez les habitants. À midi, deux sous-officiers arrivent avec quatre hommes, tous Alsaciens. L’un des sous-officiers, très intelligent, est attaché au Baumamt[1], à Strasbourg, et marié depuis six semaines. Je le fais un peu causer : la campagne sera courte ; dans six semaines, tout au plus trois mois, on entrera dans Paris ; c’est le vieux comte Hæseler qui prendra le commandement de l’armée de Lorraine, malgré ses quatre-vingts ans. Mon homme s’exprime comme le ferait n’importe quel Allemand. Aucune trace de répugnance à l’idée de se battre contre des Français, et ses compagnons tiennent le même langage. Ils parlent d’en finir une fois pour toutes avec ces fauteurs de désordre qui empêchent l’Allemagne de jouir en paix des fruits de son travail, etc. ; enfin, tout ce que nous lisons dans nos journaux.

Le brave père B…, qui, ce matin, est venu poser les fenêtres de ma nouvelle bâtisse, déplore lui aussi la guerre : un de ses fils est appelé sous les drapeaux, un autre est réformé. Il me dit : « À Obernai, il y a des gens qui prétendent qu’à la suite de cette guerre, nous redeviendrons Français. Des nigauds qui ne savent pas ce qu’ils disent ! Les affaires marchaient bien ces dernières années. Que voulait-on de plus ? Qui voulait se

  1. Bureau d’architecture municipal.