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plus sombres, que l’« état de guerre » n’est pas encore la mobilisation ; on parle d’une intervention probable du Pape. En face de nous, Sainte-Odile s’étend calme dans le soleil du matin. Nos voyageurs embrassent encore d’un coup d’œil le panorama. Le sifflet du train se fait entendre. On se dit adieu, tout le monde sanglote. Chacun, dans son for intérieur, se demande : Quand nous reverrons-nous ? et nous retrouverons-nous tous, tant que nous sommes ? Au moment où le train s’ébranle, je serre encore la main de mon beau-frère en lui disant : « Quand tu reviendras, le drapeau tricolore flottera sur la cathédrale. »

Nous remontons lentement le chemin de la gare, et tout en n’étant pas convaincu de la réalisation du souhait que je viens d’exprimer, nous nous disons que, lorsqu’on se reverra, la carte de l’Europe sera bien changée...

...Vers le soir, Mme O. vient nous apporter la nouvelle que l’Empereur a ordonné la mobilisation. Quelques instants après, l’appariteur de Bœrsch armé de sa sonnette se plante au milieu de la cour collégiale et, d’une voix qu’on sent émue, transmet le message impérial aux populations. C’est le soir, et les gens de Saint-Léonard sont sur le pas des portes. Il y a d’abord un silence ; peu à peu les langues se remettent en mouvement et jusque tard dans la nuit on entend des groupes discuter. Finalement, André, le fils de nos voisins, d’une voix éraillée, essaie d’entonner un refrain militaire ; mais cela sonne faux, le cœur n’y est pas.


ALSACE ET FRANCE

Non. M. Spindler ne croyait guère à la réalisation de son souhait, et ils étaient bien rares les Alsaciens, même parmi les meilleurs amis de la France, qui avaient alors des doutes sur l’issue d’un conflit entre la France et l’Allemagne. Leurs raisons ? M. Spindler les enregistrera dans son journal, pendant les premières semaines de la guerre.


Dimanche, 2 août. — En allant à Bœrsch ce matin, j’aperçois les Mobilmachungsbefehle affichés à la maison commune. De nombreux groupes stationnent sur la place et font des commentaires. Je ne sais si c’est une illusion, mais il me semble qu’on