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l’accoste pour lui demander ce qu’elle compte faire. « Moi, je vais, comme d’habitude, passer mon été à B... ; mais il est évident que la ville offre plus de sûreté que la campagne. » Elle ajoute d’un air convaincu : « Du reste, ça ne sera pas long ! » L’issue de la guerre ne fait évidemment pour elle aucun doute, et je suis un peu indigné de la désinvolture avec laquelle elle envisage la question. Dans mon for intérieur, je me dis qu’il n’est pas encore si sûr que les Allemands aient le dessus.

Au café où je me rends ensuite, je me trouve vis à vis du peintre C., passablement triste. Il est Allemand ; sa femme est Alsacienne ; il a des cousins et des beaux-frères dans l’armée française. Je le console en lui disant qu’il partage le sort de beaucoup d’autres de nos compatriotes.

Au retour, je remarque que déjà la voie est gardée par des militaires. Long arrêt à la gare de M. Je fais les cent pas avec le curé R. Il est feu et flamme pour la juste cause de l’Allemagne. II ne comprend pas l’attitude de la France qui, après avoir acquitté Mme Caillaux, se fait le champion d’un Ziginervolk [1], les Serbes, persécuteurs enragés des catholiques. Je n’essaie pas de disculper Mme Caillaux, et je m’embarque.

Malgré la gravité des nouvelles que j’apporte et que confirme un télégramme de M. Appell, de l’Institut, enjoignant aux siens de venir le rejoindre aussitôt, nos Parisiens ne peuvent encore se décider à sacrifier leurs bonnes vacances. Ma belle-sœur se propose d’aller demain en ville (à Strasbourg) et, selon les nouvelles qu’elle apportera, on prendra une décision définitive.


Le 31 juillet, le doute n’est plus permis, et voici que déjà apparaît, dans sa sombre réalité, le grand déchirement que la guerre va causer au sein de tant de familles alsaciennes.


Vendredi, 31 juillet. — A une heure, ma belle-sœur part pour Strasbourg. On attend avec impatience son retour. Tout le monde est à la gare, anxieux de ce qu’elle va nous apprendre.

Elle nous dit, — et l’on devine au tremblement de sa voix combien elle est encore émue, — que la guerre est imminente : à Strasbourg, l’effervescence est à son comble ; l’état de guerre, Kriegszustand, est proclamé, la nouvelle en est affichée sur des

  1. Peuple de romanichels.