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gens tantôt en allemand, tantôt en dialecte, et les propos traduits sont un peu moins plaisants.

L’amour de la terre natale a été la règle non seulement de son art, mais aussi de sa pensée la plus intime. Il est né, dans la petite ville de Bœrsch, de souche alsacienne. Au XIXe siècle, une partie de sa famille vécut à Paris. Dans sa maison, sa femme, ses enfants et lui-même ont toujours parlé le français. Plusieurs de ses proches habitaient la France. Cependant toute sa vie s’est écoulée en Alsace sous le régime allemand : il avait cinq ans en 1870. Il a fait ses études dans un collège allemand. Il a été de ceux qui, fidèles à leur petite patrie, acceptèrent, pendant quarante-quatre ans, de n’être ni Français ni Allemands, et se contentèrent de demeurer Alsaciens, n’espérant rien de l’avenir.

Dans les premières années du XXe siècle, quelques jeunes Alsaciens se sont groupés autour du docteur Bucher pour défendre contre le germanisme les traditions, toutes les traditions de leur province. « Sans doute, disaient-ils, l’Alsace est liée politiquement à l’Empire, et la France parait chaque jour plus résolue à ne rien risquer pour récupérer les provinces qu’elle a perdues : subissons notre sort ; mais il est impossible qu’un jour, de gré ou de force, la France ne soit amenée à prendre conscience de sa véritable destinée : il faut, pour ce jour-là, conserver à l’Alsace le trésor spirituel qu’elle a hérité de son ancienne patrie. » Ils étaient du reste convaincus qu’en dépit de l’éducation germanique des générations nouvelles, malgré les capitulations intéressées, malgré l’accoutumance apparente du peuple, le goût de la France et le dégoût de l’Allemagne sommeillaient au fond de toutes les consciences.

M. Spindler comptait beaucoup d’amis dans ce groupe : il conserva ses amitiés, mais se tint à l’écart. Il partageait l’avis des « résignés » qui regardaient comme vaine et périlleuse l’entreprise de ces jeunes bourgeois alsaciens. Au sentiment de ces « résignés, » Bucher et ses amis confondaient leurs propres désirs avec l’opinion du peuple : celui-ci, ayant bel et bien accepté le fait historique de la conquête, ne demandait plus qu’à jouir paisiblement des bienfaits de la paix allemande. En confiant de pareilles rêveries à des écrivains et à des journalistes français, ne risquait-on pas d’éveiller, de l’autre côté des Vosges, de funestes illusions et d’entrainer peu à peu les esprits