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Spindler ? — Sans doute, je me rappelle l’avoir plusieurs fois visité avant la guerre dans sa charmante retraite de Saint-Léonard. — Eh bien ! durant quatre années, il a écrit chaque soir tout ce qu’il voyait, tout ce qu’il entendait. Peut-être consentira-t-il à vous laisser lire son manuscrit... »

Je pris le train de Strasbourg pour Rosheim et saluai au passage la belle église romane où des sculptures juchées sur le toit racontent la légende de ses origines ; je montai dans le « tortillard » qui lentement, lentement, s’achemine vers Ottrott, et de la halte de Saint-Léonard je gagnai le logis de M. Spindler, sans me hâter, car j’avais devant moi un des plus délicieux paysages de la Basse-Alsace. Au pied de Sainte-Odile, sur un des coteaux du vignoble, les maisons de Saint-Léonard regardent les prairies où l’Ehn coule parmi les saules. De nulle part la montagne sacrée de l’Alsace n’apparaît plus grandiose et plus harmonieuse entre ses deux contreforts chargés de forêts et couronnés de ruines ; dei nulle part non plus on ne goûte mieux la joie de la plaine lumineuse. Au loin se dressent les clochers et les remparts d’Obernai. Plus près, derrière un repli de la colline, les vieilles maisons de Bœrsch se blottissent dans l’ombre des murailles du XIVe siècle.

Le hameau de Saint-Léonard est formé des bâtiments d’un ancien couvent de Bénédictins converti en collégiale dès le XIIIe siècle. Au temps de la Révolution, les constructions furent mises en vente. Depuis, quelques familles se sont créé d’agréables demeures dans les maisons canoniales. C’est là qu’habitent, porte à porte, deux hommes qui honorent l’Alsace : M. Anselme Laugel et M. Chartes Spindler. Le premier, peintre et homme de goût, est surtout connu comme un des plus ardents mainteneurs de l’idée française en Alsace : par ses conférences, ses discours, ses écrits, il a autrefois travaillé à réveiller chez ses compatriotes le culte de leurs traditions et l’amour de notre langue : il s’est acquis à la reconnaissance de la France autant de titres qu’à l’animosité de l’Allemagne. Quant à M. Charles Spindler, dont la maison rustique et l’atelier donnent sur l’ancienne cour du chapitre, tout le monde admire les délicates compositions qu’il exécute en marqueterie. Les deux voisins sont unis d’une étroite amitié, bien qu’ils n’aient pas toujours été d’accord sur l’avenir de l’Alsace, on le verra tout à l’heure.

Je frappai à la porte de M. Spindler et lui exposai ma requête.