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Chaque année le grand Cheikh promène le Grand Paon à travers les villages et recueille des offrandes à partager entre tous les cheikhs. À leur retour, tout le monde sort à la rencontre du Paon, et on vend à l’encan le droit de le réintégrer dans son sanctuaire.

À un jour de marche de Bachiga, se trouve le sanctuaire de Cheikh Adi, autour duquel il y a une vingtaine de vasques. Là réside un fakir, habillé comme un prêtre. On lui amène les enfants en bas âge, et il les baptise jusqu’à trois fois, en disant : « O Roi Paon ! garde cet enfant en bonne santé. »

Au moment de la prière publique, une douzaine de personnes se réunissent dans ce sanctuaire de Cheikh Adi. Le grand Cheikh revêt une chape et une sorte de mitre. Tous ensemble font trois fois le tour du Paon, et chaque fois ils se prosternent en l’adorant.

Ils ont une fontaine appelée fontaine jaune. Ils s’y rendent chaque mercredi, vendredi et dimanche, et font brûler des lampes sur la pierre.


Quel fatras que ces croyances ! En somme, ces Yézidis, ce qui les obsède, c’est l’antithèse, grossièrement représentée, de Dieu et du Mal, de la Lumière et des Ténèbres. En elle, ils voient la véritable essence divine. Eh bien ! ils peuvent disparaître ; nous avons notre Victor Hugo. « Dieu, me raconte ce jeune clerc, créa l’enfer pour punir Adam. Mais celui-ci recueillit ses larmes, et quand il en eut une cruche pleine, il éteignit les feux infernaux. » C’est un mauvais poème de la Légende des Siècles. Victor Hugo, à son insu, était Yézidi.

Et cependant, sous tous ces symboles, de toutes ces extravagances, peut se dégager une lueur. C’est encore en Syrie, au dire de Joinville, que nos Croisés rencontrèrent cette femme qui, de l’eau de sa cruche, voulait éteindre l’enfer, pendant que, de l’autre main, elle brandissait une torche pour incendier le ciel… Cette femme, déjà tout imprégnée du plus pur esprit du christianisme, appelait de ses vœux le jour où l’on n’aimerait Dieu que pour lui-même, pour sa bonté et sa beauté. Elle allait de l’avant. Nos pauvres Yézidis, eux, épaississant les troubles traditions auxquelles ils se sont cramponnés…

Dans leurs montagnes de Mossoul, ce sont de pauvres gens,