Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/501

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’Europe. Et mentionnez aussi, pour mémoire, la loge maçonnique de Beyrouth.

Mon cœur étant placé, je puis laisser ma curiosité vagabonder à son aise parmi cette multitude d’hétérodoxes. Ce foisonnement est bien beau, et, dans cette pêche miraculeuse de faits religieux, ce qui m’attire, ce sont les cas de survivance païenne, lointains vestiges qui brillent dans l’ombre. Je brûle d’aller débusquer les Ismaéliens, c’est-à-dire les Haschischins du Vieux de la Montagne, dans leurs retraites, et hier j’ai rencontré une véritable merveille. J’ai vu un Manichéen.

Manés ? Vous connaissez ce prêtre chrétien du IIIe siècle, né à Babylone, d’une famille de mages persans, et qui tout naturellement se mit à prêcher une hérésie où la doctrine de Zoroastre se combinait avec le christianisme.il affirmait l’éternelle coexistence de deux puissances souveraines, éternellement adverses : le Prince de la lumière et le Prince des ténèbres. Il s’agit, avec le concours du premier, de spiritualiser l’homme et d’illuminer l’univers ; il s’agit de réduire les liens qui attachent l’âme à la matière, pour parvenir à la plénitude de la connaissance et à la perfection morale. « La sagesse et la vertu, disait-il, ont toujours été manifestées aux hommes par des messagers du Dieu de lumière ; par Bouddha dans l’Inde, par Zoroastre en Perse, par Jésus en Orient. Enfin la révélation et la prophétie sont descendues à Babylone, par moi Manès, messager du Dieu de vérité. »

Tout cela, nous l’avons entendu vaticiner superbement par notre Victor Hugo. C’est la philosophie de la Légende des Siècles, c’est sa conception des Mages. Hugo était manichéen.


Ah ! pourquoi faites-vous des prêtres,
Quand vous en avez parmi vous ?


Eh bien ! l’autre jour, je causais avec le patriarche syrien d’Antioche, Mgr Ignace Ephrem II Rahmani, un esprit de la plus rare distinction. Je lui disais mon extrême désir de connaître les rêves de ses ouailles et, en général, de tous les Syriens, non pas leurs prières officielles, mais ce qui affleure à la surface de leur être, quand ils ne se surveillent pas et que leur discipline sommeille.

— À votre avis, Monseigneur, le côté nocturne de leur âme a-t-il beaucoup changé depuis une quinzaine de siècles ?