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Après cela, tous deux, nous avons visité les mosquées. principales. Je n’ai rien su y voir de beau. Si j’avais été seul, j’aurais cherché à goûter l’atmosphère religieuse de la grande mosquée, et ses nobles proportions me touchent, quand je me les remémore à distance. Mais je traînais à ras du sol des babouches d’emprunt, auprès de l’Émir qui trottait en chaussettes, et je n’ai pas su me dégager de ces mesquineries pour m’élever jusqu’à l’esprit même du temple.

Le tombeau de Saladin est, à mon avis, le meilleur coin religieux de Damas. Là, dans la gloire du sultan légendaire, venaient d’être ensevelis trois aviateurs musulmans, dont à Beyrouth on m’avait raconté qu’ils étaient venus au cercle français, jeunes, charmants et gais, et l’un d’eux parlant notre langue. Tandis que nous sommes sur leur tombe, des soldats musulmans y viennent prier. Je leur adresse un salut qu’ils accueillent avec empressement. Les pauvres cœurs humains, aux meilleurs moments et par intervalles, se rejoignent dans une minute de fraternité.


Depuis ces heures charmantes, que je me rappelle avec tant de plaisir, mon pauvre ami a été pendu. Il n’entre pas dans mon programme de raconter la terreur que Djemal Pacha et ses maîtres allemands firent peser sur la Syrie, durant la Grande Guerre. Cet hôtel de Damas, où je viens de passer les quelques jours que je raconte, il fut en 1915 la geôle de ceux-là mêmes qui m’y avaient si aimablement installé. MM. Brané et Chapotot, « députés de la nation, » qui, dès mon arrivée dans le port de Beyrouth, étaient venus me saluer sur le bateau, M. Dubois qui, de Beyrouth, m’avait accompagné à Baalbek et durant tout mon séjour de Damas, passèrent ici de longs mois, comme otages, ayant la liberté de circuler dans Damas, mais pouvant s’attendre à toute heure à un arrêt de mort, sur un caprice de ce Djemal qu’ils voyaient, chaque soir, prendre son repas à une table voisine de la leur dans la salle du restaurant. En 1916, ils furent transportés à Kutahia, et finalement survécurent. J’ai pu les revoir et recueillir le récit courageux de leurs effroyables misères. L’émir Omar, lui, fut pendu. Voilà le destin qu’il y avait derrière les minutes heureuses que je passai, avec ce petit-fils d’Abd-el-Kader, dans sa fraîche villa et parmi les jeunes musulmanes ! En Orient, quand on soulève les draps d’or et