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Arabe et un Français, deux âmes de formations si diverses. J’exprime à l’émir Omar l’admiration que m’inspire une vie de soldat et de philosophe, éclatante de gloire et terminée dans la prière. J’essaye d’obtenir de lui quelque lumière sur la pensée religieuse d’Abd-el-Kader, dont on m’a dit qu’il était un mystique de valeur. Mais, à supposer que l’Emir soit préparé à me répondre, je ne le suis pas, je m’en rends compte, à lui poser les bonnes questions. Et pour finir :

— Veuillez expliquer au prince, dis-je à l’interprète, que je dois le quitter, parce que je vais visiter des religieuses françaises.

— L’Emir répond que vous êtes venu avec lui visiter le tombeau de son père, et qu’il fera avec vous une visite aux religieuses françaises.

Nous voilà donc, tous deux, chez les Franciscaines de Marie. Plus de la moitié de leurs élèves sont de jeunes musulmanes des meilleures familles de Damas. Elles ont baissé leurs voiles noirs, mais tiennent à rester pour voir le Français. Je leur dis que ma venue avec l’émir Omar signifie l’entente de l’Islam et de la France.

La supérieure m’explique que, dans les premiers temps, ces jeunes musulmanes refusaient de se laisser prendre la main pour tracer l’alphabet, exigeaient une salle où aller faire leurs prières. Maintenant c’est fini. Elles viennent même les jours de congé, car elles s’ennuient chez elles, et elles insistent pour que les religieuses les visitent dans leurs maisons.

Je ne trouverai pas les mots, j’évite même de les chercher, qui vous traduisent mon émotion de voir ces jeunes Orientales réchauffées à la chaleur des âmes de nos religieuses. Je songe qu’armées dans le silence de ces demeures, elles apporteront à leurs maris, à leurs enfants, dans le mystère du harem, de profondes nuances occidentales, et que ces Franciscaines travaillent à modifier, à enrichir l’amour en Orient. Quel passant ne s’émerveillerait, quand il voit ces humbles filles de nos villages faire accepter avec gratitude nos meilleures pensées de France par les jeunes princesses de Damas !

La Supérieure nous offre d’entrer dans la chapelle du couvent.

— Eh bien ! prince, vous m’avez mené à la mosquée, je vous mène à l’église.

Il rit comme Voltaire.